Procès Merah : «Une balle explosive a traversé mon corps»

La cour d’assises spéciale de Paris, qui juge en appel le frère du terroriste Mohammed Merah, a donné la parole aux parties civiles de la tuerie de l’école juive Ozar-Hatorah. À ceux qui en ont eu la force.

 Aaron-Brian avait 15 ans lors de la tuerie de l’école juive Ozar-Hatorah, le 19 mars 2012 à Toulouse (Haute-Garonne).
Aaron-Brian avait 15 ans lors de la tuerie de l’école juive Ozar-Hatorah, le 19 mars 2012 à Toulouse (Haute-Garonne). Thierry Pons

    Serré dans un imperméable bleu, le jeune homme se campe à la barre sans un regard pour le box, ses avocats en vigie à ses côtés. Aaron-Brian avait 15 ans lors de la tuerie de l'école juive Ozar-Hatorah, le 19 mars 2012 à Toulouse (Haute-Garonne). Il en a 22 ans, il est étudiant, et témoignait ce lundi pour la première fois devant la cour d'assises spéciale de Paris.

    Ce rescapé, grièvement blessé par les balles de Mohammed Merah, n'était pas en mesure de prendre la parole au premier procès du frère du terroriste, Abdelkader Merah, fin 2017. Quand d'autres n'y sont toujours pas prêts, Aaron-Brian a décidé de s'exprimer lors du second. Il y voit, précise-t-il à une question de son conseil Me Philippe Soussi, « une étape dans (son) rétablissement ».

    Ses mots, sobres, laconiques, et même ses imprécisions expriment toute la violence subie il y a sept ans et combien son traumatisme, celui d'un survivant, reste prégnant. Ce matin-là, l'adolescent, interne depuis trois ans dans ce petit établissement à l'atmosphère familiale, accompagnait un autre élève pour « garder la fille du directeur » devant le portail de l'école.

    « C'était l'entrée des classes. On était trois amis. Je tournais le dos à la route. D'un coup, j'ai ressenti comme un coup de taser. Une douleur dans tout le corps. J'ai regardé à gauche, j'ai vu quelqu'un… À ma droite, il y avait le père Sandler avec ses deux enfants. Devant moi, la fille du directeur. On a commencé à courir… Je me suis réfugié dans un endroit (NDLR : où l'on met les cartables). Je me suis endormi… »

    «Il y a eu une rafale, ça m'a électrocuté»

    Aaron-Brian ne parvient pas à prononcer les prénoms des quatre victimes du tueur, abattues sous ses yeux. Jonathan Sandler, 30 ans, ses fils Arié et Gabriel, 5 ans et demi et 3 ans, et Myriam Monsonego, 8 ans. De cette petite fille, il avait expliqué à l'époque aux policiers sur procès-verbal qu'il devait « la surveiller » et s'amusait avec ses copains à « faire la sécurité ». Il ne parvient pas non plus à décrire « l'homme » qui a tiré. Il l'avait perçu « cagoulé, sombre », avec « une mitraillette à la main ». Tout est allé « très très vite ». Dans sa perception, une poignée de secondes.

    « Il y a eu une rafale et j'ai été atteint. Ça m'a électrocuté. La balle a traversé mon corps (il montre son bras gauche). Une balle explosive qui a tout touché à l'intérieur, les poumons, l'estomac… » Il subira trois interventions chirurgicales. Il peine encore « à respirer » et souffre de problèmes digestifs.

    Sur le plan psychologique, répond-il à la présidente, le jeune homme formule pudiquement qu'à 15 ans, « c'est difficile de bien vivre ça ». « J'ai vécu la chose comme un clivage. J'essayais d'oublier. Je n'y faisais pas attention. Ma cicatrice de 30 cm me le rappelait continuellement, décrit-il. Oui, il y a un choc, des cauchemars… Je n'ai pas vu de psychologue durant sept ans. J'ai commencé depuis peu », en vue du procès. A-t-il retrouvé « une vie normale ? » « C'est compliqué, répond-il. J'ai un sac à dos avec moi. »

    Au cinéma, aux terrasses des cafés, la peur, toujours

    Avant lui, le matin, d'autres parties civiles ont témoigné de l'horreur de cette tuerie, la dernière des trois perpétrées par Mohammed Merah. « L'enfer, l'insoutenable », a décrit Jonathan, 24 ans, qui en avait 17. Lui, « un grand », s'est retrouvé bloqué dans le réfectoire durant trois heures avec cinquante autres élèves « qui hurlaient, pleuraient et tapaient contre le mur ». Il évoque cette image : « Un enfant de 13 ans qui hurle à s'en déchirer les vêtements : Myriam est morte ! »

    « J'entends encore les coups de feu. Ce bruit ne vous quitte jamais », dit-il en relatant « la peur » qui saisit les survivants au quotidien, « au cinéma, aux terrasses des cafés ». « On avance, on se bat pour les absents, mais on y pense tous les jours. La plaie est toujours ouverte. »

    Élève avocat, Jonathan souligne qu'il a « totalement conscience du droit de la défense à un procès équitable ». Mais exprime son espoir « que les preuves » permettront de « retenir la complicité » d'Abdelkader Merah. « J'ai du mal à vivre avec l'idée que peut-être il est complice et que peut-être il ne sera pas condamné pour ça. »

    Dans le même sens, à la fin de sa déposition, Samuel Sandler, père et grand-père de Jonathan, Arié et Gabriel, s'était tourné vers le box, fixant celui qu'il appelle « le frère de l'assassin » en citant Albert Camus : « On ne pense pas mal parce qu'on est un meurtrier. On est un meurtrier parce qu'on pense mal. C'est ainsi qu'on peut être un meurtrier sans avoir jamais tué apparemment. »

    Le procès se poursuit jusqu'au 18 avril.