Iran : 5 minutes pour comprendre la fronde après la mort de la jeune Mahsa Amini

La jeune femme de 22 ans est morte vendredi après avoir été arrêtée à Téhéran par la police des mœurs, qui lui reprochait une tenue inappropriée. Alors que les autorités rejettent toute responsabilité, la colère se répand dans la rue comme sur les réseaux.

    Le nom de Mahsa Amini va-t-il devenir un symbole ? Le décès cette jeune femme de 22 ans a été annoncé vendredi, trois jours après son arrestation par la police des mœurs en Iran. Sa mort a suscité l’émoi d’une partie de la population et la colère de nombreuses Iraniennes qui fustigent la répression accrue du régime du président Ebrahim Raïssi. Dans quel contexte s’inscrit ce drame ? Doit-on y voir les prémices d’un #MeToo iranien ? On fait le point.

    Que s’est-il passé ?

    Mahsa était en visite à Téhéran avec sa famille quand elle a été arrêtée mardi par la police chargée d’appliquer les règles vestimentaires. Sa tenue jugée inappropriée, elle aurait été arrêtée avec d’autres femmes pour recevoir des « instructions ». Puis, elle aurait « soudainement souffert d’un problème cardiaque », selon les autorités, avant d’être transportée à l’hôpital. Trois jours plus tard, la télévision d’État annonce la mort de l’Iranienne, jusqu’alors plongée dans le coma.

    Depuis, la colère monte sur les réseaux comme dans la rue. Et les regards se tournent désormais vers la police des mœurs, la brigade chargée de contrôler le port obligatoire du foulard en public, pointée du doigt depuis des décennies pour ses exactions. Mahsa Amini a été inhumée samedi dans sa ville natale, Saghez, où des habitants ont jeté des pierres contre le siège du gouverneur et crié des slogans, en exigeant des enquêtes détaillées sur l’affaire. Des manifestations ont éclaté le même jour à Téhéran et dans le nord-ouest du pays, avant d’être dispersées à coup de lacrymogènes par la police.

    Quelles suites ?

    Deux jours après l’annonce de sa mort, la quasi-totalité de la presse iranienne consacre ses unes à ce drame. « Chère Mahsa, ton nom va devenir un symbole », proclamait le journal économique Asia, quand le quotidien modéré Jomhouri Eslami mettait en garde contre la « fracture sociale » provoquée par le « comportement violent » de la police. En parallèle, le média ultraconservateur Kayhan fustigeait « le volume de rumeurs et de mensonges soulevés après la mort de Mahsa ».

    Sous pression, la police s’est défendue, assurant « qu’il n’y avait pas eu de contact physique » entre les agents et la victime. Voulant dissiper les soupçons, la télévision d’État a diffusé une courte vidéo de surveillance montrant une femme présentée comme Mahsa s’effondrer dans les locaux de la police, après une discussion avec un agent. « La vidéo a été coupée », a aussitôt condamné son père, assurant que sa fille était jusqu’ici « en parfaite santé ».

    Le visage de Mahsa Amini s'étale à la une des journaux iraniens. Majid Asgaripour/WANA (West Asia News Agency) via Reuters
    Le visage de Mahsa Amini s'étale à la une des journaux iraniens. Majid Asgaripour/WANA (West Asia News Agency) via Reuters

    Dans la foulée, le président Ebrahim Raïssi a annoncé l’ouverture d’une enquête. Mais les inquiétudes pèsent désormais sur les autres femmes qui ont été arrêtées avec Mahsa. « La police pourrait choisir de faire disparaître les témoins oculaires, avance Mahnaz Shirali, sociologue spécialiste de l’Iran et autrice de « Fenêtre sur l’Iran, le cri d’un peuple bâillonné ». « Ces jeunes femmes ont été interpellées et savent ce qu’il s’est passé. Leur vie est en danger. Certains partagent alors leur nom sur les réseaux pour tenter de les protéger », poursuit l’universitaire.

    Quel contexte social et politique ?

    Depuis la Révolution islamique de 1979, la loi impose aux Iraniennes de sortir la tête voilée et le corps couvert d’un vêtement ample. Le pouvoir en place a répandu l’idée qu’une femme les cheveux lâchés s’exposerait à des pulsions sexuelles incontrôlables.

    Le zèle des autorités avait toutefois nettement diminué sous l’ex-gouvernement du modéré Hassan Rohani, note Mahnaz Shirali. Un nombre croissant d’Iraniennes, à Téhéran comme dans d’autres grandes villes, ont délaissé leur voile. L’arrivée au pouvoir de l’ultra-conservateur Ebrahim Raïssi semble avoir marqué une rupture, avec une intensification des contrôles. À titre d’exemple, la police avait arrêté en juillet 120 personnes lors d’une fête jugée illégale, avec « consommation d’alcool », « danses mixtes » et « non port du hijab ».



    Sans surprise, la rigidité d’un pouvoir ultra-conservateur se heurte aujourd’hui à la volonté de modernité qui insuffle les jeunes générations, observe le chercheur Thierry Coville auprès du Parisien : « Aujourd’hui, de nombreuses femmes ainsi que des hommes considèrent que le voile islamique ne devrait plus être obligatoire et que chacun devrait faire comme il veut. Cette brigade est désormais totalement à contre-courant de l’évolution des mentalités en Iran ».

    Un souffle nouveau en Iran ?

    Excédées, de nombreuses Iraniennes de tout âge se filment devant leur miroir, se coupant les cheveux ou brûlant leur voile. Ces images « extrêmement puissantes » et partagées sur les réseaux depuis ce week-end révèlent l’ampleur d’une « colère » qui bouillonne depuis des décennies, souligne Mahnaz Shirali. « On n’avait jamais vu des Iraniennes s’opposer au régime et braver la peur avec un tel aplomb », pointe cette sociologue iranienne qui a quitté son pays, il y a une trentaine d’années.

    « Déjà à l’époque, la répression sur les femmes, leur contrôle dans la société et l’espace public était intolérable, mais personne ne savait les drames qui pouvaient se produire. La révolution d’information produite par les réseaux sociaux nous empêche aujourd’hui de fermer les yeux sur les exactions du régime », poursuit la politologue.

    La société iranienne avait vu les prémices discrètes d’un épisode #Metoo à l’été 2020. À l’époque, une vingtaine de femmes accusaient un intellectuel de 33 ans de les avoir droguées et violées une fois inconscientes. L’affaire avait déclenché une vague d’indignation, encourageant d’autres Iraniennes à partager leurs agressions et traumatismes, sans toutefois endosser le hashtag #Metoo.

    « À l’époque, l’événement avait délié les langues, mais aussi suscité une forme d’agressivité de la part des hommes qui se voyaient parfois injustement pointés du doigt, rappelle Mahnaz Shirali. L’affaire ici est tout autre et se montre sociologiquement très intéressante : hommes et femmes, peu importe leur âge, leur classe sociale ou leur degré de politisation, forment une contestation massive contre les crimes du régime. La cohésion sociale n’a pas été détruite et nous ne pouvons que nous en réjouir… » Reste que pour l’heure, aucun leader politique ne semble en capacité d’incarner cette protestation.