Dix questions sur un scandale

Dix questions sur un scandale

    1 D'où viennent les listings originaux ?

    Ils sortent des ordinateurs de Clearstream, la chambre de compensation financière installée au Luxembourg. Florian Bourges, un jeune employé du cabinet Arthur Andersen, qui participe à un audit de Clearstream entre juin et novembre 2001, dérobe des listes de comptes. Ces listes sont vraies, mais elles ne comportent aucun nom de personnes.

    Florian Bourges, par l'entremise du journaliste Denis Robert, va ensuite rentrer en contact avec un certain Imad Lahoud, un informaticien qui se présente comme un agent des services secrets. En septembre 2003, dans un bistro de Courbevoie (Hauts-de-Seine), Florian Bourges remet à Imad Lahoud les listings originaux de Clearstream. Ce sont eux qui seront ensuite falsifiés.

    2 Qui a falsifié les listings ?

    Le suspect n o 1 s'appelle Imad Lahoud. L'ex-trader aurait truqué, en 2003 et 2004, les listings de comptes Clearstream qui lui avaient été remis par Florian Bourges. Présenté abusivement comme un « informaticien de génie », il n'a jamais piraté le système informatique de Clearstream comme il l'a longtemps prétendu. Selon les juges, il existe une preuve déterminante contre Lahoud. Une expertise du disque dur de son ordinateur, dont 623 000 fichiers avaient été effacés en avril 2005, a mis au jour des références de comptes Clearstream ouverts au nom de plusieurs des personnes dénoncées à tort, dont Nicolas Sarkozy. Les juges pensent que Jean-Louis Gergorin a participé à la falsification, ce qu'il nie.

    3 Qui figure sur les listings falsifiés ?

    Ces documents contiennent des dizaines de noms, célèbres ou connus d'un petit monde d'initiés. Ils forment un tout hétéroclite. On trouve des dirigeants de grands groupes industriels (Airbus, EADSâ?¦), des agents des services de renseignements français ou encore des avocats réputés. Des policiers français de haut rang y côtoient des mafieux russes et des personnes impliquées dans des affaires pénales. Outre Nicolas Sarkozy et certains de ses proches collaborateurs, il y a des personnalités politiques de gauche (DSK, Jean-Pierre Chevènementâ?¦) comme de droite (Alain Madelin, Charles Pasquaâ?¦). Ajouté à un ex-dignitaire franc-maçon, un grand éditeur, le mannequin Lætitia Casta et la chanteuse Alizée, cela donne un mélange invraisemblable.

    4 Qui a transmis les faux listings au juge Van Ruymbeke ? C'est l'une des (rares) certitudes du dossier. Bien qu'il l'ait contesté en début d'instruction, Jean-Louis Gergorin a transmis les listings au magistrat du pôle financier via des courriers anonymes. Le nom de Nicolas Sarkozy figure dans la deuxième lettre, signée « DT » et reçue le 14 juin 2004. Gergorin est ainsi devenu le corbeau de l'affaire. Le terme est pourtant inexact. Mis en relation avec Renaud Van Ruymbeke par l'intermédiaire de l'avocat Thierry de Montbrial, Jean-Louis Gergorin l'a rencontré secrètement à plusieurs reprises, mais a refusé de témoigner anonymement (sous X). Le juge et Gergorin en présence de l'avocat se seraient alors accordés pour que les documents bancaires parviennent au magistrat de façon anonyme. Une faute de procédure qui vaut au juge d'être poursuivi devant le Conseil supérieur de la magistrature.

    5 Quand la justice a-t-elle su que les listings étaient faux ?

    A l'automne 2004, le juge Renaud Van Ruymbeke a acquis la certitude que les documents que lui a fait parvenir Jean-Louis Gergorin en mai et juin sont des faux. Il en a d'ailleurs informé plusieurs personnalités mises en cause dans ces listings : Alain Madelin, Dominique Strauss-Kahn et Jean-Pierre Chevènement. Des lettres indiquant qu'il n'existait aucun soupçon contre eux ont effectivement été envoyées par le juge à leurs avocats, qui avaient pris soin d'entrer en contact. A cette date, le magistrat arrête toutes les investigations, même s'il reçoit encore des envois anonymes.

    Van Ruymbeke n'a, en revanche, pas informé Thierry Herzog, l'avocat de Nicolas Sarkozy. Bien qu'ayant accès à la procédure, celui-ci ne s'est jamais manifesté.

    6 Comment est intervenu Dominique de Villepin ?

    Ministre des Affaires étrangères puis ministre de l'Intérieur en 2004, Dominique de Villepin a rencontré Jean-Louis Gergorin au tout début de 2004 au sujet des listings Clearstream. C'est lui qui a donné mission au général Rondot de vérifier si les noms figurant sur ces documents étaient exacts. A plusieurs reprises il a ensuite rencontré secrètement Jean-Louis Gergorin, jusqu'à l'été 2004.

    Dominique de Villepin dit avoir cru en la réalité de ces listings et nie toute implication dans la falsification. Accusé par Gergorin de lui avoir demandé de transmettre ces documents au juge, il nie encore. Seule véritable certitude le concernant, en juillet 2004, alors que le général Rondot l'a officiellement informé que les listings étaient faux, il n'a pas alerté la justice pour arrêter les investigations.

    7 Quel rôle a joué le général Rondot ?

    Sans lui, il n'y aurait pas eu d'affaire Clearstream et pas de procès. C'est grâce à ses notes personnelles prises au quotidien (entre 2003 et 2005) que les juges Pons et d'Huy ont pu reconstruire les détails de la chronologie de l'histoire.

    Missionné par Dominique de Villepin pour vérifier si les listings de Clearstream sont exacts, il émet très vite des doutes. En juillet 2004, dans un rapport remis au ministre de la Défense, il affirme que ces documents sont des faux.

    A la différence des autres acteurs du dossier, le général Rondot n'a jamais été pris en flagrant délit de mensonge au cours de l'instruction. Son témoignage attendu le lundi 5 octobre risque d'être décisif.

    8 Quel rôle a joué Michèle Alliot-Marie ? En novembre 2003, la ministre de la Défense autorise le général Rondot à enquêter sur les fameux listings en limitant ses vérifications aux comptes attribués à des personnels de la Défense.

    Dès avril 2004, Rondot informe le directeur de cabinet de la ministre de la possibilité d'un montage. Dans une note du 26 mai 2004, il mentionne avoir tenu informée sa ministre des envois anonymes de Gergorin au juge Van Ruymbeke sur ordre de Villepin. Michèle Alliot-Marie le conteste. Elle affirme avoir fait part à Dominique de Villepin des doutes de ses services sur la réalité des listings, en juillet 2004. « Alliot-Marie n'a joué aucun rôle », tranche un avocat du dossier alors que certains observateurs estiment qu'elle aurait pu dénoncer la manipulation à la justice.

    9 Quel rôle a joué Jacques Chirac ?

    Les juges d'Huy et Pons ont voulu entendre le président Chirac. Ce dernier a fait savoir que son statut de chef d'Etat en exercice ne le permettait pas, précisant plus tard qu'il ne connaissait pas l'affaire Clearstream. Le rôle de Chirac se limite donc à celui que lui prêtent le général Rondot et Jean-Louis Gergorin. Selon leurs déclarations, Dominique de Villepin leur a fait part, le 9 janvier 2004, d'une instruction du président de la République visant à transmettre les listings à la justice. Dans une note du 30 juin 2004, Rondot rapporte une confidence d'Imad Lahoud, selon laquelle Villepin a demandé à Gergorin de « balancer Sarkozy » sur instruction du président. Ces ordres de Jacques Chirac, dont se serait prévalu Villepin, n'ont jamais été confirmés par l'enquête.

    10 Que faut-il attendre du procès ?

    Toutâ?¦ et peut-être rien. Après des années d'instruction, l'enquête des juges Pons et d'Huy n'a établi aucune vérité formelle. Des rebondissements sont donc à attendre tant certains des protagonistes ont livré des versions confuses et différentes au fil des auditions. Certains avocats, à commencer par celui de Nicolas Sarkozy, ont même annoncé des coups d'éclat et des révélations. il reste que le tribunal devra se prononcer sur des faits et selon un raisonnement juridique. « Tout est possible, y compris que la vérité surgisse des débats », s'amusait ces derniers jours un des avocats de l'affaireâ?¦