Europe : Emmanuel Macron à l’heure des deals

Mardi soir à Bruxelles, le président français a cherché à se placer au centre du jeu pour «construire» l’UE des cinq prochaines années... et des noms qui l’incarneront.

 Bruxelles, le 28 mai. Emmanuel Macron et les chefs d’Etat et de gouvernements se sont retrouvés pour évoquer officiellement le projet européen des cinq années à venir.
Bruxelles, le 28 mai. Emmanuel Macron et les chefs d’Etat et de gouvernements se sont retrouvés pour évoquer officiellement le projet européen des cinq années à venir. AFP/Kenzo TRIBOUILLARD

    Ni téléphone portable, ni délégation de conseillers. Pour leurs premières retrouvailles à 28 depuis le scrutin de dimanche, les chefs d'Etat et de gouvernements se sont retrouvés mardi à Bruxelles, à 18h30, dans une salle au 11ème étage de l'austère bâtiment Europa. Motif officiel de ce dîner à l'heure anglaise : évoquer le projet européen des cinq années à venir. Entre deux bouchées de salade folle au melon et de filet de porc, la question des nouveaux équilibres politiques sortis des urnes depuis dimanche et avec elle, celle du profil du candidat à la présidence de la Commission européenne ont nourri les échanges.

    Depuis dimanche, tractations et marchandages ont cours dans les grandes capitales de l'Union pour tenter d'influer sur la nomination de cinq postes clés (présidences de la Commission, du Parlement, du Conseil, de la BCE et patron de la diplomatie européenne) dont deux devraient échoir à des femmes.

    «Le président n'est pas braqué sur l'idée d'avoir un Français»

    Dans cette grande partie d'échecs, chacun a commencé à dévoiler son jeu, esquissant le portrait-robot de son président de Commission idéal. Emmanuel Macron, lui, plaide - logiquement - pour une personnalité reflétant l'alliance progressiste qui émerge au centre du jeu politique européen : les centristes libéraux de ALDE-Renaissance que son parti a ralliés. Pousse-t-il un compatriote? « Le président n'est pas braqué sur l'idée d'avoir un Français, ce n'est pas le critère numéro un, note un de ses proches. En revanche, le côté francophile et francophone est important. » Cela tombe bien pour la Danoise Margrethe Vestager, candidate des nouveaux alliés de Nathalie Loiseau. « Elle fait partie, comme monsieur Barnier (NDLR : négociateur en chef de l'UE pour le Brexit ), comme monsieur Timmermans ( NDLR : néerlandais ) et plusieurs autres, des gens qui ont les compétences requises. Je ne veux pas avoir un débat sur les noms », esquive le chef de l'État. Mardi soir, à l'issue du dîner, les 28 ont acté leur volonté de se mettre d'accord d'ici au 21 juin au plus tard.

    Pour le reste, la partie s'annonce très disputée. Alors qu'Angela Merkel est sortie de ce repas de près de trois heures en réassurant son soutien à l'Allemand Manfred Weber, le candidat désigné par les partis membres de la droite du PPE, Emmanuel Macron a, lui, refuser d'avancer un nom contrairement à nombre de ses homologues. Pourquoi ? « Parce que je suis cohérent dès le début, a-t-il lâché hier soir. Si les uns et les autres restent aux noms où ils sont nous auront un blocage. Aucun des groupes n'a la majorité à lui seule, et même s'ils se mettent à deux! Mon rôle est de rassembler et de sortir des logiques claniques. » Le Français souhaite aussi bousculer le mode de désignation des quatre grands postes européens, et rejette le principe du « Spitzenkandidat », qui fait que le candidat proposé par le premier parti soit privilégié pour la présidence de la Commission. D'autres paramètres devront également entrer en ligne de compte, la géographie (nord, sud, est et ouest), le genre, ainsi que les sensibilités politiques...

    Ce jeu de tractations est d'autant plus complexe qu'au Parlement de Strasbourg - chargé de valider les titulaires des postes-clés - faute de majorité absolue, les différentes familles politiques doivent passer entre elles un « accord de coalition », plus technique qu'idéologique. Traditionnellement, les conservateurs du PPE et les sociaux-démocrates du PSE s'entendaient pour se répartir les postes. Désormais, il faudra composer à trois ou quatre, et notamment avec la formation centriste (105 sièges, selon les derniers comptages). Dans ce paysage éclaté, les Français de Renaissance entendent peser de tout leur poids. Numériquement, ils sont les plus nombreux devant les Britanniques, qui comptent 17 eurodéputés en attendant leur départ quand l'heure du Brexit sonnera enfin. Le crédit des Français n'est toutefois pas proportionnel au nombre de leurs sièges.

    Pas d'effet «wahou» Nathalie Loiseau

    L'expérience, le « savoir-faire » maison, importe beaucoup dans le jeu européen. Or Nathalie Loiseau n'a pas provoqué d'effet « wahou » à Bruxelles. Tout va donc se jouer dans les « deals » conclus entre nouveaux alliés. Un initié décrypte : « Si la Française vise la présidence de son groupe à Strasbourg, il faudra qu'elle aide l'ex-Premier ministre belge Guy Verhofstadt à s'emparer d'un gros fauteuil. » Pour y parvenir, sa formation devra conclure avec un accord plus global avec les autres groupes du Parlement, en l'occurrence les sociaux-démocrates, les Verts, et pourquoi pas le PPE.

    Voilà pourquoi, depuis des semaines, les centristes oeuvrent en coulisses à la construction d'une alliance avec les sociaux-démocrates et les Verts pour ces nominations. Car, même si l'important est le « projet », comme l'a rappelé le président, l'accord ne sera que de circonstance.