La Turquie fait polémique

Alors que Nicolas Sarkozy répète que la Turquie n'entrera jamais dans l'Europe, Philippe de Villiers, rejoint par le PS, l'accuse de « mensonge » sur ce dossier.

La Turquie fait polémique

    Y aurait-il, sur la Turquie, un double langage de Nicolas Sarkozy ? C'est en tout cas la thèse sur laquelle se rejoignent des responsables politiques aussi différents que le souverainiste Philippe de Villiers, le socialiste Benoît Hamon et le Vert Daniel Cohn-Bendit. Ils accusent le chef de l'Etat et l'UMP de « mentir » quand ils prétendent, discours après discours, que jamais la Turquie n'entrera dans l'Europe. L'argument du non à Ankara plaît à un électorat en majorité hostile à cette adhésion. Mais voilà, dans une lettre ouverte adressée à Michel Barnier, tête de liste en Ile-de-France et coordinateur national de la campagne UMP, Villiers dénonce des « contradictions flagrantes avec toutes les décisions prises par le gouvernement français depuis l'élection présidentielle ».

    Quelles décisions vise-t-il ? Villiers rappelle d'abord que Nicolas Sarkozy a fait retirer de la Constitution l'obligation de soumettre à référendum, en France, tout futur élargissement de l'Union européenne. Il souligne ensuite que c'est pendant la présidence française de l'Europe (du 1 e r juillet au 31 décembre 2008) qu'ont été ouverts deux chapitres très importants des négociations d'adhésion. Argument repris par le porte-parole du PS, Benoît Hamon, tandis que Cohn-Bendit relève, ironique, que les pourparlers avec Ankara étant prévus sur dix ou quinze ans : « Nicolas Sarkozy ne sera plus là pour décider le moment venu ! » De fait, les discussions Turquie-UE, ouvertes en 2004, s'articulent en plusieurs volets thématiques très fouillés, qui ne peuvent être ouverts et conclus qu'avec l'accord unanime des 27 Etats membres.

    En outre, dans sa missive, Villiers accuse Barnier de « cacher à nos concitoyens, qui sont aussi contribuables, qu'ils paient déjà pour l'entrée de la Turquie ». Le chef du Mouvement pour la France fait allusion à des prêts, dits « prêts d'aide de préadhésion », accordés à Ankara par l'UE, donc avec l'assentiment de la France. Ces prêts s'élevaient à 538 millions d'euros en 2008 et atteindront 566,4 millions en 2009. « Si vraiment vous étiez hostile à l'entrée de la Turquie, vous auriez déjà interrompu ces flux financiers », conclut Philippe de Villiers.

    Paris et Berlin isolés

    La Turquie, qui avait déjà été un dossier sulfureux dans la campagne pour le référendum constitutionnel en 2005, risque donc bien de jouer à nouveau les trouble-fête. D'autant que, sur ce dossier, Paris fait pratiquement figure d'exception dans l'Europe des Vingt-Sept. Si Nicolas Sarkozy peut, certes, compter sur une alliée de poids, la chancelière Angela Merkel, il est contesté par le front hyperactif de la Grande-Bretagne et de la Suède, soutenus parâ?¦ l'Américain Obama (Ankara est l'allié privilégié de Washington au sein de l'Otan). La majorité des autres membres, a priori plutôt favorable à cet élargissement, jugera sur pièce au fur et à mesure des pourparlers.

    La Suède, qui assurera bientôt la présidence de l'UE, insiste cependant pour que les négociations débouchent sur une adhésion en bonne et due forme de la Turquie, et non sur un partenariat privilégié comme le souhaitent Paris et Berlin. Du coup, à Paris, le jeu incessant des diplomates consiste à masquer le plus possible le terme « adhésion » dans la formule « négociations d'adhésion », répétant en boucle que le processus n'est en rien joué d'avance. Quant aux prêts dénoncés par Villiers, on assure qu'il s'agit de procédés systématiquement employés envers les pays candidats. Exemple, la Croatie reçoit actuellement 33 â?¬ par habitant (contre 7 â?¬ pour la Turquie). Campagne après campagne, le dossier turc reste décidément bien délicat à manier.