«Pas d’autre choix que d’offrir l’asile sans conditions» : Jaoui, Despentes, Duflot... Elles s’engagent pour les femmes afghanes

Une tribune regroupant notamment les comédiennes Agnès Jaoui et Salomé Lelouch, l’autrice Virginie Despentes ou encore la journaliste Giulia Foïs et l’ancienne ministre Cécile Duflot, réclame au chef de l’Etat un « accueil inconditionnel » des femmes afghanes et de leurs proches.

Après la prise de pouvoir des talibans, en Afghanistan, un tribune comptant comme signataires notamment l'actrice Agnès Jaoui et l'écrivaine, Virginie Despentes, réclame un accueil inconditionnel des femmes afghanes et de leurs proches. (DR)
Après la prise de pouvoir des talibans, en Afghanistan, un tribune comptant comme signataires notamment l'actrice Agnès Jaoui et l'écrivaine, Virginie Despentes, réclame un accueil inconditionnel des femmes afghanes et de leurs proches. (DR)

    Un cri du cœur, de rage et un exercice de sororité sans pareil. Dans une tribune que nous révélons, des femmes artistes, écrivaines, militantes, soignantes, politiques, des cheffes d’entreprise… toutes réclament au président de la République Emmanuel Macron un « accueil inconditionnel » des femmes afghanes et de leurs familles, dont le pays est désormais en proie au régime ultra-rigoriste des talibans.

    De l’actrice et réalisatrice Agnès Jaoui, en passant par la femme de lettres Virginie Despentes pour les plus connues, ou encore des femmes au RSA, toutes ont paraphé le texte d’un collectif monté en 48 heures sur Facebook : « Urgence pour les femmes afghanes et leurs proches ».

    « Nous affirmons que face au danger absolu du viol, de la soumission et de la mort, pour un pays qui se réclame des Lumières et de la démocratie, il n’y a pas d’autre choix que d’offrir l’asile sans conditions », insistent-elles. Si seulement les cinquante premières signataires apparaissent en bas du document, plus d’un millier de femmes, venues de tous les horizons, ont répondu à l’appel lancé par six militantes de différentes causes (antisémitisme, contre la peine de mort, contre la négrophobie…), inconnues du grand public.

    « Pendant que des hommes font de la géopolitique, nous sommes là pour rappeler que des femmes nous écrivent actuellement depuis l’Afghanistan, pour nous dire qu’elles vont mourir. C’est à nous de leur montrer que la démocratie et les valeurs de la République valent mieux que le régime des talibans », souligne Nadia, accompagnante d’élèves en situation de handicap, l’une des six à l’origine du collectif.



    Et ces dernières d’épingler, au passage, la phrase du chef de l’État qui fit polémique après son allocution télévisée, le 16 août. Lors d’un point sur la situation en Afghanistan, il avait alors énoncé vouloir protéger l’Europe « des flux migratoires irréguliers importants ». « Nous décidons qu’Emmanuel Macron ne parle pas en notre nom lorsqu’il évoque les Français qui s’inquiètent d’un nouveau flux migratoire : nous nous inquiétons, au contraire, qu’il n’ait pas lieu et que nos sœurs afghanes, et leurs proches, meurent égorgées, violées, massacrées en Afghanistan. Ou noyées ou d’épuisement sur les routes dangereuses de l’exil. Ou ici, finalement, dans un bidonville », rétorquent-elles.

    Pour ce texte, les femmes signataires, « de toutes les divergences, de toutes les écoles, de toutes les sphères sociales et politiques » ont mis de côté ce qui les oppose. Elles ont décidé « d’enterrer la hache de guerre » pour participer à cette « vague solidaire » qui se veut comparable au mouvement #MeToo, dénonçant les violences sexistes et sexuelles contre les femmes. « Nous décidons, ensemble, de faire front, car ce que nous voulons pour nous, la liberté et l’égalité, ne peut être gagné que si toutes le gagnent, sans distinction d’origine, de religion ni de frontières. »

    La tribune : « L’amour, pas la guerre - Accueil inconditionnel des femmes afghanes »

    « Nous, féministes et femmes de tous les genres, de toutes les divergences, de toutes les écoles, de toutes les sphères sociales et politiques, nous décidons aujourd’hui d’enterrer la hache de guerre et la géopolitique et de faire front dans un seul objectif : la vie et la liberté pour les Afghanes, l’ouverture de nos frontières et l’accueil inconditionnel de nos sœurs et de leurs familles.

    Nous décidons, ensemble, de fermer nos oreilles à tous les arguments de la realpolitik, à tous les hommes — à commencer par notre président — qui trouveront toujours mille raisons de ne rien faire et de ne pas être le pays des droits des femmes, eux qui ont toujours trouvé des excuses pour ne pas être celui des droits de l’homme.

    Nous décidons, ensemble, de clamer haut et fort : le cœur a ses raisons que la raison connaît. Nous affirmons que face au danger absolu du viol, de la soumission et de la mort, pour un pays qui se réclame des Lumières et de la démocratie, il n’y a pas d’autre choix que d’offrir l’asile sans conditions.

    Nous décidons, ensemble, de faire front, car ce que nous voulons pour nous, la liberté et l’égalité, ne peut être gagné que si toutes le gagnent, sans distinction d’origine, de religion ni de frontières. Nous décidons que les mots des hommes qui veulent fermer la porte aux femmes afghanes ne nous font pas peur. Nous décidons qu’Emmanuel Macron ne parle pas en notre nom lorsqu’il évoque les Français qui s’inquiètent d’un nouveau flux migratoire : nous nous inquiétons, au contraire, qu’il n’ait pas lieu et que nos sœurs afghanes, et leurs proches, meurent égorgées, violées, massacrées en Afghanistan. Ou noyées ou d’épuisement sur les routes dangereuses de l’exil. Ou ici, finalement, dans un bidonville.

    Cela arrive déjà, et depuis des années, car, même avant la victoire des talibans, chaque rejet de demande d’asile pour les Afghanes et Afghans qui en faisaient la requête, sous prétexte qu’ils n’étaient pas en danger, était déjà un mensonge et un déni de droits. Cela arrive déjà, parce que notre pays a préféré financer des soldats, des armes et une occupation, plutôt que des initiatives de développement des droits humains et l’accueil ici des personnes en exil.

    Vingt ans après l’intervention militaire en Afghanistan, tous ceux qui ont eu le pouvoir en France sont au moins d’accord sur un point : la guerre a coûté très cher et n’a servi à rien. Pourtant, alors que ce constat unanimement partagé devrait les amener à revoir leurs copies, les messieurs qui nous gouvernent n’ont de nouveau que la guerre contre le terrorisme à proposer. Une guerre au nom de laquelle il faudrait faire taire tous les bons sentiments et se calfeutrer derrière les barbelés de Frontex pour faire face au terrible flux migratoire.

    Voilà comment, en dépit des droits humains, l’Europe et la France, si fières de leurs valeurs démocratiques, considèrent ces femmes qui viennent vers nous, précisément parce qu’elles y croient, chercher refuge pour leurs familles, leur liberté et leurs projets de vie. Un flux d’eau sale, ces femmes en quête d’un avenir pour elles et pour leurs petites filles qui rêvent de bancs d’école ? Une menace, ces femmes qui affrontent depuis toujours un obscurantisme que nos dirigeants prétendent combattre en agitant la peur, qui fait le jeu à son tour d’un autre obscurantisme, celui de l’extrême droite ?

    Nous, féministes et femmes, ne voyons pas un flux mais un afflux d’espoir. Nous ne sommes pas en guerre. Aux talibans et à leur violence, nous exigeons que l’on oppose les seules armes qui vaillent, celles que certains n’appellent valeurs de la République que pour mieux les trahir. Le réalisme, c’est la devise inscrite au fronton des écoles mixtes : Liberté, égalité, fraternité.

    Et si nos hommes politiques ne veulent pas s’emparer de la fraternité, s’ils ne sont pas capables de mettre de côté leurs oppositions comme l’avaient fait Sartre et Aron, alors c’est à nous de faire vivre la sororité internationale, de lancer de nouveau une vague solidaire, comparable à celle qu’a été #metoo, pour nos sœurs afghanes.

    Ce que nous voulons, nous le voulons pour toutes. Mobilisons-nous pour l’accueil en urgence absolue des femmes afghanes, de leurs proches et des personnes des minorités de genre et d’orientation sexuelle. Pour des visas humanitaires en urgence absolue, et autant qu’il en sera demandé, pour l’assouplissement immédiat des conditions nécessaires au regroupement familial, pour la suspension immédiate des accords de Dublin et pour la délivrance de titres de séjour pour toutes celles qui sont déjà en France.

    Puisque la comparaison avec la guerre du Vietnam est utilisée par tous les commentateurs politiques, alors le temps est revenu du réalisme en mouvement, celui qui a gagné en disant L’amour, pas la guerre.

    L’accueil inconditionnel, pas la géopolitique mortifère et ses frontières. »

    Les 50 premières signataires

    · Nadia Meziane, assistante d’élèves en situation de handicap, activiste contre l’antisémitisme et l’islamophobie, Lignes de Crêtes

    · Marie Bardiaux-Vaïente, autrice de bande dessinée et historienne - Militante féministe et pour l’abolition universelle de la peine de mort

    · Clémence Lossone, militante afroféministe, autrice

    · Marie-Laure Malric, comédienne, membre du CNR (collectif pour une nation refuge)

    · Léonie Bureau, éducatrice à la vie (affective et santé sexuelle), militante au planning familial et autres collectifs féministes, antiraciste et mère de famille nombreuse

    · Gaëlle Hersent, autrice de bande dessinée

    · Virginie Despentes, écrivaine

    · Agnès Jaoui, réalisatrice et comédienne

    · Paul B. Preciado, philosophe

    · Cécile Gonçalves, docteure en études politiques de l’EHESS

    · Marie-France Moralès-Berger, éducatrice spécialisée à la retraite militante féministe antiraciste

    · Amélie Cohen-Langlais, adjointe au Maire de Bègles, militante syndicale

    · Emmanuelle Marchand, professeure de lettres, adjointe au maire de Marmande

    · Amandine Thiriet, comédienne et chanteuse, présidente du collectif les Matermittentes

    · Gaëlle Desliens, professeure des écoles à Tourcoing (REP +), membre logistique de Migraction59 (plate-forme d’hébergement citoyen des personnes en exil coincés à Calais)

    · Worms Sandrine, coordinatrice et bénévole Asso Solidarité Migrants Moselle (et, accessoirement, chargée de projet Accompagnante victime de la traite des êtres humains/et parcours sortie de prostitution dans un CIDFF)

    · Delphine Cerisuelo, enseignante

    · Maeve Juliette, précaire (AAH), militante handi queer écoféministe et antifa - Blog WordPress @handicapinvincible et un long billet/journal sur la psychiatrie en temps de pandémie publié cette année sur Ligne de Crêtes

    · Maïc Jolu-Planques, graphiste et dessinatrice, militante queer féministe, 2 articles et une co-traduction publiés sur lignes de crêtes.

    · Elishéva Gottfarstein, médiatrice culturelle et archiviste

    · Carole-Ann Banach, ingénieure et autrice de bande dessinée

    · Capucine Hauray, infirmière, coprésidente départementale d’une association féministe d’éducation populaire, élue municipale à Saint-Nazaire

    · Carole Collinet-Appéré, journaliste et militante syndicale

    · Maud Delanaud, chômeuse, bénévole en associations, militante féministe et antiraciste

    · Charlotte Monasterio, artiste photographe

    · Leslie Tychsem, créatrice de mode

    · Wiecha Koralewska, survivante de la Covid, 95 ans

    · Lara Louisa Lotte Boulangère, anthropologue, membre de Lignes de crêtes

    · Sandrine Rousseau, candidate à la primaire écologiste

    · Céline Bureau, artiste, précaire

    · Jeanne Puchol, autrice de bande-dessinée, mililtante syndicale, féministe

    · Sylvie Taussig, écrivaine, chercheuse au CNRS, traductrice

    · Pascale Morel, professeure, coordinatrice du projet « Histoire, mémoire et avenir de l’Europe »

    · Ruth Zylberman, réalisatrice

    · Sarah Ecoffet-Chartier, ingénieure, militante féministe

    · Marion Fourtune, militante écologiste, féministe

    · Aurore Cyrille, militante droit humain

    · Romane Elineau, membre de Paris d’exil

    Heloïse Nio, cofondatrice de l’école Thot

    · Agathe Nadimi, professeure de l’enseignement supérieure et fondatrice de l’asso les midis du MIE engagée auprès des exilés

    · Anne Tempelhoff, sculptrice, militante pour un accueil digne des réfugiés

    · Maryam Karimi, journaliste afghane

    · Martine de Gaudemar, professeure des universités

    · Judith Aquien, cofondatrice de l’école Thot, autrice féministe

    · Marie Bellosta, éditrice

    · Giulia Foïs, journaliste

    · Salomé Lelouch, comédienne et metteuse en scène

    · Catherine Raffait, sociologue EHESS et militante pour les droits des Roms

    · Cécile Duflot, ancienne ministre de l’Égalité des territoires et du Logement

    · Maud Vandoolaeghe, adjointe au directeur du pôle Accueil Réfugiés Habitat et Humanisme