Travail : le bruit, ennemi des salariés en open space

18 % des salariés travaillent sur des plateaux sans cloisons. Pour nombre d’entre eux, le bruit est un facteur de stress et de fatigue. Une association réclame des mesures.

 La réglementation en vigueur a fixé le plafond sonore à 80 dB pendant huit heures. Une limite trop haute pour des spécialistes de la santé au travail.
La réglementation en vigueur a fixé le plafond sonore à 80 dB pendant huit heures. Une limite trop haute pour des spécialistes de la santé au travail. LP/Jean-Nicholas Guillo

    Il y a le voisin de bureau qui met son casque sur les oreilles lorsqu'il a besoin d'écrire, celui qui va passer ses coups de fil dans un box dédié ou dans le couloir, cet autre enfin qui part s'isoler dans une salle de réunion vide pour pouvoir travailler au calme. Dans cette grande entreprise parisienne où la plupart des salariés travaillent dans des espaces ouverts, sans cloisons entre les bureaux, chacun a trouvé sa parade contre le bruit ambiant. Et c'est presque un réflexe d'autoprotection. L'association JNA (Journée nationale de l'audition) estime en effet que « le bruit en entreprise provoque une perte d'intelligibilité de la parole, notamment en open space ».

    « Ce fort désagrément, à répétition, provoque fatigue, irritabilité, stress et, in fine, accidents par perte de vigilance et désertion du lieu de travail », déplore l'association, qui exige que l'on modifie la réglementation en vigueur, datant d'une époque où les open spaces n'existaient pas. « La législation fixe à un seuil de 80 dB pendant huit heures la valeur d'exposition qui déclenche une action de la part de l'entreprise (comme fournir des bouchons de protection), explique Sébastien Leroy, responsable des programmes santé pour la JNA. Or, les open spaces peuvent être bruyants sans atteindre ce seuil. » À titre de comparaison, 70 dB, c'est un aspirateur et 80 le bruit d'un klaxon !

    Les maux de tête, la fatigue en fin de journée, Cherif connaît bien ça, lui qui travaille depuis deux ans dans un open space à Lyon au sein d'une grande entreprise publique. « Sur ces plateaux, on est dérangé en permanence par le passage de gens, une discussion entre deux personnes et le son monte, monte, monte au point qu'on est obligé de s'isoler dans des box pour téléphoner », explique ce commercial.

    Des « pauses acoustiques » demandées

    « Comme personne ne travaille au même rythme, certains se mettent à discuter quand d'autres ont besoin de se concentrer et finalement, c'est tout le temps bruyant », peste Chloé, qui travaille à Paris sur un plateau d'une vingtaine de personnes.

    « Du fait de la fatigue de l'oreille, les gens ont tendance à augmenter l'intensité de leur voix et l'on se retrouve souvent avec un volume sonore de 70 à 75 dB en fin de journée dans un open space alors que l'OMS préconise que l'on travaille dans un milieu où le son ambiant ne dépasse pas 55 dB », explique Sébastien Leroy. Si encore nos oreilles bénéficiaient de périodes de « pause acoustique » comme le réclame la JNA. Mais elles baignent en permanence dans le bruit. « Les gens écoutent de la musique dans les transports, mettent des oreillettes quand ils font leur jogging ou avant de s'endormir, détaille le spécialiste. Cette répétition de stress acoustique fragilise les cellules de l'oreille et cela peut créer à terme des problèmes de surdité ou d'acouphènes. »

    Certaines sociétés comme Continuum proposent désormais aux entreprises d'installer des panneaux acoustiques pour réduire le bruit ambiant. Son dirigeant, Franck Fumey, lors de la visite d'un plateau d'une centaine de personnes, a mesuré combien les nuisances sonores impactaient la santé des salariés. « L'un d'eux m'a dit qu'à 16 heures il était cuit et un autre que le bruit altérait son discernement dans le cadre de son management, explique le chef d'entreprise. Quand la dose de bruit devient insupportable pour le cerveau, on peut ressentir de l'irritabilité, avoir des migraines, des troubles du sommeil et se retrouver en souffrance dans la durée. »

    Franck Fumey a remarqué que même lors de la pause déjeuner, censée reposer l'oreille, il y a des pics de saturation sonore dans les restaurants d'entreprise. « L'audition est en fait le seul de nos cinq sens qui ne se repose jamais vraiment », constate ce spécialiste de l'acoustique qui a déjà traité une quarantaine de salles de classe trop bruyantes.

    « Le coworking permanent n'est pas envisageable dans certains cas et les open spaces ne sont par exemple pas du tout adaptés pour les métiers où les salariés doivent tenir de nombreuses conversations », estime Catherine Cecchi, présidente de la société régionale de santé publique d'Occitanie. Spécialiste des environnements de vie, de l'architecture et de la santé, elle compare l'open space à une ruche qui bourdonnerait en permanence. Et où les salles de repos et autres box insonorisés seraient comme des alvéoles censées offrir une pause à nos oreilles.