« C’est triste à en pleurer » : Séphora Corcher, une championne d’Europe de sambo privée de « Marseillaise »

Samboïste depuis deux ans, l’ancienne judokate du Red Star Club Champigny est parvenue à conserver sa couronne européenne… sous bannière neutre. La faute a un conflit entre deux instances françaises.

Deux fois sacrée, Séphora Corcher n'a toujours pas pu entendre la Marseillaise en guise de célébration. DR
Deux fois sacrée, Séphora Corcher n'a toujours pas pu entendre la Marseillaise en guise de célébration. DR

    Pas de « Marseillaise », pas de drapeau bleu-blanc-rouge, juste une bannière neutre et une musique internationale. Cette scène surréaliste est arrivée mercredi dernier lors du Championnat d’Europe de sambo (une discipline inventée par les Soviétiques lors de la Première Guerre mondiale et qui consiste à se défendre à mains nues) qui s’est déroulé à Haïfa, en Israël, quand Séphora Corcher est montée sur la plus haute marche d’un podium assez étrange. Chez les moins de 50 kg, outre la Française, une combattante russe était aussi présente sur la troisième marche, également sous bannière neutre.

    « Il y avait deux drapeaux de la FIAS (Fédération internationale amateur de sambo), à la place du drapeau français et russe, aux côtés des étendards roumains et espagnols, raconte la Française. On connaît le contexte politique avec la Russie. Mais pour la France, on n’est pas en guerre et pourtant on n’a pas le droit d’être identifiés comme Français. »



    À 26 ans, l’ancienne judokate découvre le monde merveilleux du sambo. Depuis deux ans, la FIAS ne reconnaît plus la France comme nation à part entière en raison d’un différent entre la Fédération française de lutte (FFLDA) dont dépend le sambo et le Comité français de sambo (CFS), une association loi 1901, qui est également reconnue à l’international.

    En attendant que le conflit se règle, la FIAS a établi une sélection panachant les deux entités françaises, tout en interdisant à ces dernières de porter les couleurs de la France.

    « Il me manquera toujours quelque chose »

    « C’est une situation un peu ridicule, décrit Séphora Corcher. Il y a deux équipes de France, chacune avec ses propres équipements. En raison d’un conflit de personnes, les samboïstes français en payent le prix fort. C’est triste à en pleurer. » Pour Séphora Corcher, cette situation ubuesque a atteint son paroxysme l’année dernière. Affiliée au CFS, la nouvelle samboïste est toute heureuse de participer à sa première compétition internationale à Novi Sad en Serbie lors des Championnats d’Europe en septembre dernier.

    « Moi, je ne suis qu’une athlète et mon boulot, c’est de m’entraîner pour ramener des médailles, explique-t-elle. Je ne connaissais pas trop ce qui se passait en sambo. Quelque temps, avant de participer aux Championnats d’Europe, une amie me dit que si je devenais championne d’Europe, je ne serai pas reconnue puisque je n’étais pas licenciée à la Fédération de Lutte. Or, j’avais besoin de cette reconnaissance, notamment dans le cadre professionnel. »

    En catastrophe, Séphora Corcher prend une licence FFLDA juste avant l’Euro. « La compétition se passe à merveille, je bats notamment Maria Molchanova, la Russe quadruple championne du monde en demi-finales. Et en finale, je décroche le titre de championne d’Europe. »

    Pour son premier titre européen de sa carrière en septembre dernier, Séphora Corcher n’a pas entendu « la Marseillaise ». Ni la semaine passée quand elle a conservé son titre à Haïfa. « Je suis deux fois championne d’Europe et j’ai gagné deux tournois internationaux mais je n’ai jamais entendu l’hymne national, constate Séphora. Évidemment, le plus important, c’est de gagner. Mais il y a de la frustration et il me manquera toujours quelque chose. »

    « Ça m’a effleuré l’esprit d’arrêter »

    D’autant plus que ce n’est pas tous les jours que la France décroche des titres internationaux dans un sport dominé par les Russes et les pays de l’Est. De là à arrêter le sambo ? « Oui, cela m’a effleuré l’esprit, reconnaît Séphora. D’ailleurs, je connais pas mal d’athlètes autour de moi qui en ont assez et qui veulent arrêter aussi. Ce qui me fait tenir, c’est que je suis tombée amoureuse de ce sport. Je ne connaissais pas du tout le sambo. Pour moi, c’est une merveilleuse découverte, et je n’ai pas envie de laisser tomber pour un conflit de personnes. »

    Depuis le 14 avril 2023, la Guyanaise de 26 ans est gardienne de la paix. « C’est grâce à mon statut d’athlète de haut niveau que j’ai pu le devenir, précise-t-elle. Un statut que je n’aurais pas eu en restant au CFS. Si je veux devenir un jour championne de monde, il faut que je puisse m’entraîner dur. J’ai donc besoin que ma carrière professionnelle soit aménagée pour me laisser le temps de m’entraîner. »

    Dans sa ligne de mire, les Championnats du monde en novembre prochain au Kirghizistan, mais aussi les World Combat Games un mois avant à Riyad en Arabie saoudite. « C’est une compétition qui regroupe les trois meilleurs de chaque continent, détaille Séphora. Je serai la seule Française présente. J’espère que d’ici là, les problèmes seront réglés et qu’en Arabie saoudite ou aux Mondiaux, je pourrais cette fois entendre la Marseillaise… »