Magyd Cherfi, Toulousain de combat

La double page consacrée aujourd'hui à Toulouse, terre d'ovalie où le foot a trouvé une petite place, est la deuxième des neuf dédiées aux villes hôtes de l'Euro 2016. Paris et Saint-Denis, réunis sous la bannière Ile-de-France, clôtureront ce rendez-vous hebdomadaire le 2 juin. Chaque semaine, l'histoire d'un joueur emblématique du club est revisitée. Une personnalité locale met des mots sur ses sentiments pour évoquer son attachement à sa cité. Des détails pratiques sont également fournis.

Le chanteur et parolier de Zebda n’a jamais quitté la Ville rose, où il est né il y a 53 ans.
Le chanteur et parolier de Zebda n’a jamais quitté la Ville rose, où il est né il y a 53 ans. (Métifet/Starface.)

    Toulouse (Haute-Garonne)

    De notre correspondant



    S'il fallait dessiner

    la carte du Toulouse de Magyd Cherfi, on retracerait sans doute grossièrement un demi-siècle du mouvement social, politique et culturel de la Ville rose. Le chanteur et parolier de Zebda, qui poursuit aujourd'hui une carrière en solo, n'a jamais quitté la cité où il est né, il y a cinquante-trois ans, de parents algériens. Son enfance, il la passe dans les quartiers nord, aux Izards. « C'était un ghetto, de Maghrébins, Manouches, Portugais, Espagnols et pieds-noirs, se souvient-il. Quand on sortait du quartier, on avait presque un besoin mental de passeport. Nos parents, pour le marché du dimanche ou les courses du week-end, avaient l'impression de venir en France. »

    Son entrée au lycée, à Toulouse-Lautrec, le rapproche du centre-ville et bouleverse son quotidien. « En 2

    , il n'y avait plus qu'un seul Arabe, c'était Magyd. J'ai pu m'approcher des filles. Elles m'invitaient à leur anniversaire, dans des villas. Tous les repères ont explosé. Il n'y a plus eu de tabou. »

    Avec la création de Zebda, en 1985, la ville entière va prendre en pleine face ce fils d'immigrés qui, avec une bande de potes, renverse la table à grands coups de pied et de textes percutants. Dans leurs chansons, les Zebda maltraitent Toulouse autant qu'ils le célèbrent. Ils se permettent de refuser l'inauguration du Zénith, en 1999. « On avait un rapport très dur avec le maire

    (centriste)

    de l'époque, Dominique Baudis, explique Magyd Cherfi. Il a notamment enterré le mouvement associatif des quartiers nord. »

    Ce bouillonnement culturel dont Zebda est un acteur majeur trouve un prolongement politique : la liste Motivé-e-s, qui regroupe le monde associatif et culturel toulousain, avec Magyd en 19

    position, recueille plus de 12 % des suffrages aux municipales de 2001 et envoie quatre colistiers au Capitole. Pour un bilan au final mitigé. « Dans le combat, je me sens bien mieux dans un versant poétique, parce qu'il laisse beaucoup plus d'oxygène, concède-t-il. Le politique est contraint à la promesse. Je l'ai moi-même expérimenté. »

    Son discours, c'est dans ses textes qu'il le martèle. Notamment l'idée de « Toulouse capitale », lui, le provincial qui peste contre le « centralisme parisien » et qui a un temps été tenté de gommer son accent. « Il y a une honte qui ne dit pas son nom, estime-t-il. Mais Nougaro a changé ça : il a fait surgir de l'émotion en gardant son accent. Les gens nous ont aimés tels quels. Je me suis réapproprié ma personne grâce à la musique. » Dans Zebda, il y a autant de membres que d'accents et d'origines. « On était trois Algériens, il y avait quatre Français, mais on était tous toulousains », image-t-il.

    C'est cette idée de métissage qu'il défend encore et toujours et qu'il appelle « modernité ». « Il y a besoin de coups de boutoir pour expliquer à Toulouse qu'elle deviendra à terme une ville métisse, explique-t-il. Ma ville est à la fois rebelle et raisonnable. Elle est prudente mais toujours susceptible de poussées très fortes. » Sans surprise, c'est à Arnaud-Bernard, le quartier le plus populaire — et métissé — du centre-ville, qu'il se sent le mieux. Il vient régulièrement y faire son marché. A vélo. « Je suis un bobo beur », clame-t-il.

    Il ne revient plus que rarement aux Izards, qui constituent « la fondation de tout ce qui a fait ma vie ». « Il a changé, en mal, regrette-t-il. Il y a eu l'apparition de la came, d'abord de drogues douces puis d'un gros trafic ces quinze dernières années. Le quartier s'est encore plus refermé sur lui-même. A l'époque, l'islam était une imagerie d'Epinal. On voyait nos parents prier mais on n'en avait rien à secouer. Aujourd'hui, tu croises des jeunes de 17 ans avec des barbes et des gandouras

    (NDLR : tuniques sans manches).

    » Devenu athée « par paliers successifs », il a récemment fait parler de lui pour ses chroniques qui ont suivi les attentats du 13 novembre, où il s'est fait patriote face à l'obscurantisme : « Il y a un moment où il est bon d'avoir un espace auquel on appartient, et cet espace, c'est la démocratie, la liberté. »

    Sur son site, qu'il alimente régulièrement de ses pensées, d'autres textes, plus légers, évoquent le foot, l'Euro qui approche et les affaires qui se succèdent. « J'adore le foot, mais quel cauchemar ces joueurs ! » pouffe-t-il. Il y a quelques années, il fréquentait encore un peu le Stadium. « J'y accompagnais mes enfants mais il y a aujourd'hui un degré de vulgarité en tribunes que je ne supporte plus », confie-t-il. S'il a déserté le Stadium, quitter Toulouse, en revanche, est pour lui « inimaginable ». Mais comptez sur lui pour malmener sa ville encore et toujours dans ses textes.