Volley : « On m’avait dit qu’elles étaient incapables », comment le Belge Emile Rousseaux a relancé les Bleues à un an des JO

Vainqueur de la Challenger Cup ce dimanche et qualifiée en Ligue des Nations pour la première fois, l’équipe de France féminine profite du travail de son sélectionneur arrivé en 2018. Il raconte sa méthode.

Emile Rousseaux, sélectionneur belge de l'équipe de France, après la victoire des Bleues en Challengers Cup, ce dimanche à Laval contre la Suède. Photo Icon Sport
Emile Rousseaux, sélectionneur belge de l'équipe de France, après la victoire des Bleues en Challengers Cup, ce dimanche à Laval contre la Suède. Photo Icon Sport

    Le volley féminin français a changé d’ère depuis qu’un Belge est à sa tête. En 2018, année de son arrivée, les Françaises étaient 50èmes au classement mondial de la FIVB. Aujourd’hui 17èmes, elles progressent à vue d’œil et viennent de se qualifier pour la prochaine Ligue des Nations en remportant la Challenger Cup, un an après avoir triomphé en Ligue européenne. C’était le premier titre de la sélection depuis 1936. Débarqué au cœur d’un chantier ouvert, le Belge Emile Rousseaux a bouleversé la pratique française de ce sport pour garantir la haute performance. Un an avant les Jeux, les volleyeuses tricolores sont dans la forme de leur vie.

    A votre arrivée, l’équipe n’avait pas du tout le même visage qu’aujourd’hui. Qu’avez-vous changé ?

    EMILE ROUSSEAUX. Quand je suis arrivé, il y avait globalement un très grand nombre de filles qui avaient une illusion de la haute performance. J’ai alors fait un test de culture générale de volleyball, pour savoir où en étaient leurs connaissances de volley-ball, avec 40 questions. Christina Bauer avait eu le meilleur score avec 38/40, je m’en rappelle comme si c’était hier. Mais toutes les autres avaient entre 10 et zéro points. Elles avaient très peu d’intérêt pour le volley. Mais maintenant, les filles suivent les matchs de la Ligue des Nations, elles commentent… Ça a radicalement changé.

    Cela les a-t-il aidées à se reconnecter à leur sport ?

    Ça a joué une fonction de détonateur. Certaines ont commencé à faire des fiches, elles étaient consciencieuses. En fait, on ne leur avait jamais dit pendant leur formation que quand on prétend devenir la meilleure dans un sport, ce n’est pas inadéquat de savoir qui est meilleur que vous et surtout quelles sont leurs qualités. Il n’y avait aucune connexion avec les vrais enjeux de la haute performance.

    Le problème venait-il seulement des athlètes ?

    Non. Je me rappelle de certains pôles espoirs qui ne travaillaient pas pendant trois ou quatre mois par an et qui avaient le toupet, si je peux le dire comme ça, de dire « Je fais du haut niveau ». J’ai fait le tour des formations et j’ai vu qu’il y avait un très gros souci, pas partout, mais dans quelques structures. Ce qui a également changé, c’est qu’Eric Tanguy (président de la Fédération française) et la DTN (direction technique nationale) ont mis à disposition des moyens financiers plus conséquents pour l’équipe féminine.

    « Vous voyez dans quel état de naïveté on se trouvait, c’était la folie furieuse ! »

    Comment s’est passée votre arrivée, dans cette ambiance ?

    Avant d’accepter mon contrat, j’ai demandé à mon président (Eric Tanguy) de me rémunérer trois mois en imprégnation, le temps de faire 32 interviews individuelles avec des acteurs du volley féminin. Je me suis rendu compte que quand on n’a rien gagné depuis 1936, l’ambiance était assez négative. Le verre n’était jamais à moitié rempli mais toujours à 90% vide. On m’a dit que les Françaises étaient incapables de quitter leur maison plus de quinze jours, qu’elles foutraient le bordel, qu’elles avaient des grands airs mais qu’elles ne savaient pas faire le travail nécessaire. Mais rien de tout ça. Moi, je les trouvais plutôt engagées, positives, donc j’ai dû dire que je ne pouvais pas continuer à travailler comme ça. Certes il fallait les confronter aux faits, leur poser des repères mais aussi s’appuyer sur la bonne intention, l’envie de se transformer.

    Pendant cette imprégnation, vous avez aussi eu l’occasion de remarquer l’inactivité en club de certaines joueuses…

    J’avais 16 joueuses réservistes (NDLR : remplaçantes) dans le championnat de France. Imaginez, si Deschamps sélectionnait une majorité de réservistes ! On l’internerait ! On ne peut pas se contenter d’être réserviste dans un club de la côte d’azur avec un beau survêtement et une belle petite voiture. Elles pensaient que si elles étaient dans un club pendant une saison en étant réservistes, elles pouvaient se mesurer aux meilleures joueuses du monde. Vous voyez dans quel état de naïveté on se trouvait, c’était la folie furieuse !

    Vous avez perdu des éléments en route à cause de votre nouvelle méthode ?

    Bien sûr. Je ne me suis pas fait que des amies parce que quand on bouscule les habitudes, ça ne passe pas toujours avec joie et plaisir. À l’époque, certaines n’avaient pas la solidité mentale nécessaire pour s’engager dans un programme aussi fort. J’avais ce regard extérieur et j’ai dit ce que je pensais.

    Vous aviez un objectif clair : que l’équipe soit prête pour disputer les Jeux, en 2024, à la maison. Avez-vous ressenti un alignement autour de cette ambition ?

    En tout cas, pour le faire, Eric Tanguy m’a suggéré de m’allier à un maximum de cadres français plutôt que d’apporter ma bande de Belges, pour laisser une trace sur le long terme. Donc on a fait en 2020 un appel à toute la France pour trouver des bénévoles pour soutenir le projet. 20 ou 30 entraîneurs dont plusieurs de Ligue A se sont proposés. Là encore, on m’avait encore prédit la misère, on m’a dit : « Tu ne vas pas travailler avec des entraîneurs français, ils vont te saborder, ils vont parler avec les filles contre toi, saboter ton projet. »

    « Oui les filles françaises savent bosser, elles sont intelligentes, elles ont envie de performer »

    Ça a été le cas ?

    Je voyais les choses positivement, mais sans aucune naïveté. J’étais persuadé que dans ce pays, comme dans le mien, il existait des gens motivés, enthousiastes et passionnés par leur sport. Et j’ai eu raison car on a trouvé ces entraîneurs qui nous aident autour d’un noyau fixe. Ils sont toujours entre 3 et 5 qui animent les entraînements avec nous. Ils se sont chargés de la contamination des idées : oui les filles françaises savent bosser, elles sont intelligentes, elles ont envie de performer. Ça a très bien marché donc je suis très reconnaissant, parce qu’ils ne sont absolument pas cons comme on me l’avait dit.

    À un an des Jeux, comment sentez-vous l’équipe ?

    (Il soupire.) Je regrette de ne pas avoir pris l’équipe deux ans plus tôt. Mais le niveau atteint et la victoire en Challenger Cup, c’est quand même improbable, par rapport à quand on a commencé en 2019. Donc oui, à un an des Jeux, c’est absolument merveilleux. C’est une expérience à long terme nécessaire pour les filles. Mais à court terme attention, on n’a pas vraiment appris à se confronter à autant d’équipes aussi fortes. Tout le monde espère que l’apprentissage se fasse de façon exponentielle mais il se fait avec de légers moments de recul. On est quand même secoués quand on rencontre les meilleurs du monde. Il faudra faire attention.

    Avec quand même un petit espoir ?

    On va participer à l’Euro (à partir du 15 août) puis à la Ligue des Nations. J’espère qu’on va s’adapter le plus vite possible. Quand on est formateur, on a toujours l’espoir qu’il se passe quelque chose. Un poème disait : « Marcheur, le chemin se fait en marchant ». Finalement, pour nous, le chemin est un peu pentu, mais quand même faisable.