Ces cyclistes font la course à Longchamp et... dans les rues de Paris, via l’appli Strava

BICLOU, ÉPISODE 71. Les King Of the Mountain (KOM) et Queen Of the Mountain (QOM) sont l’ADN de l’application sportive géoconnectée Strava, créée en 2009. Les décrocher signifie être le meilleur, au moins pour quelques jours. Car à Paris la guerre fait rage pour les couronnes jaunes.

    Vous avez peut-être déjà croisé ce ou cette cycliste qui fonce tête baissée dans Paris. Vous avez alors imaginé qu’il était en retard. Sauf que… non. Il ou elle roule vite pour la gloire et le triomphe. « La gloriole » lâche dans un éclat de rire Samuel au guidon de son fixie… Dans le plus grand secret des profanes, ces cyclistes participent à une chasse mondiale aux records… La quête aux KOM/QOM, une couronne jaune numérique qui récompense le meilleur mondial. Celui ou celle qui a eu le meilleur temps sur une portion de route précise, appelé « segment » sur l’application Strava, devient ainsi le King of the Mountain (KOM) pour les hommes ou la Queen of the Mountain (QOM) chez les femmes.

    Véritable ADN de Strava qui revendique 100 millions d’utilisateurs dans le monde, le KOM/QOM est devenu un outil de motivation pour tous les cyclistes. Au point de s’apparenter pour certains à une forme d’addiction. Nombreux sont les amateurs de vélo qui le confessent, parfois du bout des lèvres : à la fin de chaque sortie, ils se connectent et scrutent les résultats. « C’est assez cool de se dire qu’on est la fille la plus rapide à Paris sur un segment », explique Zoé au sommet de la rue de Belleville dont elle détient le QOM. « C’est pour m’amuser. Dans le sport on avance comme ça, on aime avoir une progression personnelle mais aussi par rapport aux autres », décrypte cette pratiquante de triathlon.

    « Le KOM, c’est souvent un objectif, c’est aussi une fierté », résume Nicolas Gervais. Ce cycliste du club Paris Cycliste Olympique et YouTubeur en possède lui-même une belle collection.

    Du virtuel au réel, il n’y a qu’un tour de roue. Ces récompenses permettent pour les meilleurs de se faire une notoriété. Et pas n’importe laquelle… Jonas Vingegaard, le dernier vainqueur du Tour de France a ainsi été repéré par son équipe grâce à ses performances sur l’application.



    Le KOM peut être aussi source de frustration. Le champion d’un soir, auréolé de jaune devient soudainement le second, sa couronne raflée par un cycliste plus rapide, plus stratégique ou chanceux. Strava l’a bien compris : les KOM c’est une compétition perpétuelle. « Quand vous perdez le KOM, vous recevez un mail de Strava qui dit : vous avez été détrôné ! Avec le nom de celui qui vous l’a pris », s’amuse Nicolas Gervais. En haut de la rue de Crimée, sur les bords du parc des Buttes Chaumont (XIXe), Raphaël vient justement de se faire voler son KOM, à deux secondes près. « Il faut qu’on remonte, là. Il faut qu’on repasse devant, se motive-t-il en regardant son écran de téléphone. Ça va le faire, on va le retenter chaque semaine ! »

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    Côté sécurité, l’application se défausse sur sa communauté. « Strava met à disposition la plateforme pour que les locaux créent les segments, explique Gregory Vermersch de Strava France. On s’en remet donc à la communauté pour faire remonter ceux qui sont dangereux. On désactive alors les classements sur ceux qui posent problème. »

    Dans la communauté des cyclistes ces performances sont critiquées par certains car elles impliquent de ne pas toujours respecter la signalisation ou même de dépasser les 30 km/h, la nouvelle limite de vitesse officielle à Paris.

    Mais il subsiste encore au moins deux endroits où les chasseurs de KOM s’en donnent à cœur joie en toute légalité… Les anneaux du vélo parisien : Longchamp côté bois de Boulogne à l’ouest et le Polygone dans le bois de Vincennes à l’est. Depuis sa création en 2019, Strava a enregistré 30 000 cyclistes sur l’anneau de Longchamp et 20 000 sur le Polygone. La vitesse maximum au tour y est hallucinante 58 km/h à Longchamp et 52 km/h sur le polygone. À Longchamp, le patron c’est Samuel, également connu sous le nom de Black metal rider, fondateur du groupe les Suicidal Urban Riders. Ils foncent tout en noir autour de l’anneau pour défendre les KOM. Sur le Polygone, Pascal Larnicol, 53 ans, continue de faire tomber les récompenses virtuelles. « Je suis parmi les vieux, je m’accroche encore ! », cet habitué, salué par de nombreux cyclistes, reste modeste. « Je roule entre 15 et 20 000 km par an sur ce petit triangle, depuis 15 ans. On va loin dans la souffrance pour essayer de tenir le peloton ! » Jeudi dernier, lors de « la tartine » comme il l’appelle, Pascal a encore battu tous les records avec une dizaine de KOM remportés… à 48 km/h !