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Ils étaient près de 2 000, selon les organisateurs, pour l'université d'été de Reconquête.
Ils étaient près de 2 000, selon les organisateurs, pour l'université d'été de Reconquête.
Antoine Margueritte

Université d’été de Reconquête : à Orange, les fidèles d'Eric Zemmour refusent de broyer du noir

Reportage

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Ils étaient près de 2000 dans le Vaucluse pour le rassemblement annuel du parti d’Éric Zemmour. Après les départs de Marion Maréchal et du sénateur Stéphane Ravier, les militants s’inquiètent pour l’avenir du parti, et Zemmour se lance dans « l’antipolitique » avec son escouade d'influenceurs.

À la sortie du train, on les repère, ils se reconnaissent eux. Coupe courte, chemise claire adaptée à la température, drapeaux français pas encore déployés, et grands sourires. Sur le parvis de la gare, une habitante coiffée d’un chapeau orné d'un drapeau tunisien interpelle l'un des sympathisants Reconquête : « Qu’est ce qui se passe ? C’est un mariage ou quoi ? » Il l’ignore poliment. Un petit van noir attend l’état-major du parti, venu de Paris, direction l’espace Alphonse-Daudet : quelques hectares d’herbes coincés entre un McDo et la piscine municipale. Après une annus horribilis marquée par les départs successifs de Marion Maréchal et Stéphane Ravier, Éric Zemmour veut relancer la machine et éviter que ce rassemblement estival soit le dernier. Il a choisi Orange, ville de son ami Yann Bompard, ancien candidat Reconquête aux européennes.

Un pessimisme d’atmosphère

11 heures. On se presse dans la queue pour entrer sur le site, au son des Copains d’abord joué par la fanfare. Le soleil tape fort sur les cheveux grisonnants qui composent la majeure partie de l’assistance. Sur place, des rangées de tables pour accueillir le banquet – après le mot de bienvenue du maire – et des stands de livres et de produits dérivés à l’effigie de Zemmour. Séverine, ancienne coiffeuse au chômage de 52 ans, a fait la route depuis Alençon (Orne) : « un enfer ». Comme beaucoup, elle n’est pas très optimiste : « Il y a tout à faire, il faut espérer. Maintenant on a pris la place du RN, on est complètement ostracisés. »

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Près des étals de casquettes brodées « Ben voyons », Jean-Pierre, cuisinier en Ehpad de 62 ans qui milite depuis 2022 est du même avis : « Bardella, c’est un problème de plus. Avec le départ de Marion […] on a plus de jeunes aussi bons à mettre en face. Il faut reconnaître qu’il n’y a plus le même engouement qu’avant… »

Sur la scène, le maire d’Orange ouvre le bal : « Nous, nous ne cherchons pas à obtenir un siège d’élu, un mandat parlementaire ou un portefeuille ministériel : nous voulons sauver la France. » Comme une réponse au départ des rares élus du parti dont le sénateur Stéphane Ravier, jusqu’alors seul élu de Reconquête au parlement français et la députée européenne Marion Maréchal. Ne reste d'ailleurs d'élue sur cette liste et membre du parti que Sarah Knafo, qui après une matinée dédiée à la « formation des cadres », a causé industrie l'après-midi avec l'ami – jamais avare de conseils – d'Eric Zemmour, Loïk Le Floch-Prigent, ancien PDG de GDF et d'Elf Aquitaine.

Soudain, les tablées se lèvent et les téléphones sont brandis pour saisir l’arrivée de l'une des dernières figures fidèle à Éric Zemmour : Jean Messiha, qui chauffe la foule sur l’air de « Bella ciao », chant des partisans antifascistes italiens.

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Bière à la main, Matthias, militant non encarté, parce qu’il ne « veut pas être fiché », reconnaît que les cadres manquent : « Le départ de Marion ça fait vraiment chier, je pense qu’elle a senti le vent tourner. C’est dommage parce que ceux qui sont partis c’était des grosses têtes, mais peut-être qu’il y avait besoin de clarifier les choses… »

Juste à côté, Cédric, 22 ans, veut surtout passer « un bon moment » : « Là, c’est pas évident. On espère toujours que ça va se renforcer, l’histoire est de notre côté. Il y a eu beaucoup d’optimisme, et c’est un peu redescendu après les dernières échéances, où on a fait des scores assez moindres. Les médias ont aussi joué leur rôle ! »

Génération Z désenchantée ?

Les absents les plus voyants sont peut-être les jeunes. La moyenne d’âge est très élevée autour des bouteilles de vin servies par le traiteur de l’évènement. « C’est vrai qu’on n’a pas vu du tout de militants de la génération Z », déplore Pierre, 56 ans. Chapeau de paille sur la tête, Bastien, ingénieur de 30 ans qui participe à l’université d’été de Reconquête pour la première fois, s’étonne : « Je suis venu spécialement de Lyon et je suis un peu surpris qu’il n’y ait pas plus d’actifs. C’est l’effet Bardella, le départ de Marion et les échecs électoraux. »

Devant la scène, des tablées de militants attendent l'ouverture du buffet, et les premières interventions.
Devant la scène, des tablées de militants attendent l'ouverture du buffet, et les premières interventions.
Antoine Margueritte

Pour lui, il ne faut plus voir Reconquête comme un parti politique, mais comme « un think tank », là pour faire infuser les idées d'extrême droite dans la société, et la préparer à une victoire électorale de son camp. « Je ne nous vois pas gagner une élection prochainement, la voie électorale est un peu engorgée », analyse-t-il, avant de reconnaître que ce nouvel objectif est « peut-être un peu une roue de secours ».

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Interrogé par Marianne à sa sortie de la scène, Stanislas Rigault se veut rassurant : « J’ai vécu la mode Zemmour qui était extrêmement forte mais il ne faut pas se leurrer, tout va très vite. Zemmour, au-delà de la popularité, il a des idées gravées dans le marbre. » Il en veut pour preuve la capacité du parti à regrouper « 2 000 personnes en un mois », et estime que l’absence de jeunes s’explique par la configuration : un banquet, loin de Paris.

Pour reconquérir ce public, Reconquête tente un coup un peu baroque : face aux tablées de seniors, une table ronde avec pour thème le « combat culturel contre la gauche », servi par une poignée d’influenceurs : Marguerite Stern, Yohan Pawer, Thaïs d’Escufon… Le tout précédé par un bref concert de Mila. Cette bande de jeunes est présentée par Éric Zemmour comme « l’avant-garde », et l’avenir du combat. Aucun n’oublie d’appeler à un petit « follow » sur les réseaux sociaux, devant une assistance parfois un peu perdue, qui finit le plat de résistance avant de se diriger vers les desserts.

Le pari de l’antipolitique

16 heures. La journée se termine avec le clou du spectacle. Éric Zemmour monte sur scène sur une musique épique, et enchaîne avec une nouvelle promesse : « une révolution antipolitique », qui structure toute sa prise de parole. « Avez-vous entendu, pendant ces J.O., vos proches dire que l’ambiance était excellente pour une raison étonnante… Parce qu’on ne parlait plus de politique ? », scande-t-il, et les premiers applaudissements tardent à venir.

« Comme la vie est belle sans la politique », relance-t-il avant de citer un sondage de l’institut Odoxa, qui explique que 82 % des Français ont une mauvaise image des partis politiques et que 90 % pensent que les partis n’ont aucune solution à proposer à nos problèmes. « Permettez-moi de vous dire que c’est désormais officiel : cette politique est morte. Morte. Je pèse ce mot. […] L’ennemie ! Le mot est terrible, mais il est vrai : la politique est devenue l’ennemie du peuple », rajoute-t-il, avant d’appeler à « dépolitiser ce pays ».

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Une partie du public est perplexe, l’autre adore. Monique, ancienne fonctionnaire de 70 ans considère d’ailleurs que « Zemmour n’est pas un politicien, parce que ce sont les gens qui sont allés le chercher ». Même son de cloche chez Séverine, la coiffeuse d’Alençon : « Il est plus vrai que les autres, qui sont partis faire de la tambouille. Il ne fait pas de carrière politique, lui. »

Didier, son mari, est plus perplexe : « Moi je pense qu’il faudrait arrêter de taper sur les autres, les contredire, oui, mais pas les attaquer. Il ne faut pas tomber dans le panneau, et faire preuve de pragmatisme. » L’ancien technicien aéronautique considère même que « Zemmour n’est pas inévitable : il est suffisamment intelligent pour ne pas persister à être sur le devant de la scène s'il n’est pas la bonne solution. » Le vent se lève et la journée se termine. Les adhérents rejoignent leur voiture sur le grand parking, et les quelques jeunes de l’état-major retournent à la gare, direction Paris.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne