Second tour de la présidentielle : Laurent, principal de collège, est soulagé du résultat mais «repart au combat»

Laurent Kaufmann, 53 ans, principal de collège à Montreuil (Seine-Saint-Denis), est satisfait de la victoire du président sortant, Emmanuel Macron, face aux «fascistes». Mais l’électeur de gauche est déjà prêt à se mobiliser pour défendre l’école dans les cinq ans à venir.

Laurent Kaufmann, principal du collège Colonel Fabien, à Montreuil, estime qu'Emmanuel Macron a «rendez-vous» avec le monde de l'éducation. LP/ Jean-Baptiste Quentin
Laurent Kaufmann, principal du collège Colonel Fabien, à Montreuil, estime qu'Emmanuel Macron a «rendez-vous» avec le monde de l'éducation. LP/ Jean-Baptiste Quentin

    « Yes ! » Le cri est sorti spontanément à 20 heures, à l’annonce des résultats. Assis sur son canapé, devant l’ordinateur connecté à France 2 – il a abandonné la télé depuis 10 ans –, Laurent Kaufmann sourit. Il se défend d’être trop content. Mais l’électeur de gauche, syndiqué au Sgen-CFDT qui a tenu à « faire barrage à l’extrême droite » en votant pour Emmanuel Macron cache mal son soulagement. La journée a été un peu particulière, vécue dans une certaine fébrilité. « Une inquiétude modérée », concède-t-il. « Je suis soulagé. C’est quand même un camouflet, pour elle », lance le cadre de l’Éducation nationale évoquant Marine Le Pen sans la nommer.

    Autour de lui, dans sa petite maison, son logement de fonction accolé au collège REP (Réseau d’éducation prioritaire) où il officie comme principal à Montreuil (Seine-Saint-Denis) depuis des années, il n’y a guère que le labrador, la bien nommée chienne « Rebelle » qui fait la fête ce soir, tournant en rond dans le salon. Le maître, plus sérieux, n’a décidément pas envie de danser. « Il n’y a rien à fêter. Nous vivons une période de crise politique » balance Laurent Kaufmann, qui pense déjà à « l’après ». D’ailleurs, son téléphone vient de vibrer pour la énième fois de la soirée. Sur sa boucle WhatsApp d’amis d’enfance, l’un de ses copains vient de lui écrire : « Ouf ! On repart au combat ». « Je suis sur la même ligne », opine Laurent Kaufmann, l’air soudain grave.



    Au premier tour, Laurent Kaufmann avait voté Mélenchon, sans hésiter. Ce dimanche, il n’a pas tergiversé non plus avant de donner son bulletin à Emmanuel Macron, comme au second tour de 2017. À 53 ans, Laurent Kaufmann a toujours été de gauche, comme la grande majorité de ses collègues, mais « tout n’a pas été négatif pendant ces cinq ans », concède-t-il.

    Certes, le principal de collège sort « rincé » de ce quinquennat marqué par deux ans de Covid. Certes, il s’agace de la « com » à la sauce Macron, du « mépris » du ministre Blanquer, du « pipeau » que le président sortant a encore joué en parlant d’éducation pendant la campagne. Mais « les fascistes », dit-il, ne prendront pas encore l’Elysée. « Mais cette fois, Macron va devoir prendre en compte la montée des extrêmes ! Il y a un éléphant dans le paysage politique et il ne faut pas faire semblant de ne pas le voir ».

    «Pendant le Covid, on a dû donner à manger à des familles démunies»

    Il attend surtout de lui « de l’écoute ». « Un véritable Grenelle de l’éducation, qui rassemble tout le monde, un véritable état des lieux de l’éducation », détaille Laurent Kaufmann. Tout n’est pas à rayer dans son programme, ajoute-t-il. « Mais pour l’instant, il n’y a que des mots, il n’y a donc rien », lance celui qui se déclare favorable à ce que les enseignants soient rémunérés au mérite, qu’ils soient évalués « mieux et plus souvent ». Le président a un vrai « rendez-vous », dit-il, pour les cinq ans à venir avec l’école mais aussi le social et la santé. « Non, je ne suis pas blasé et oui, j’ai des attentes », résume le principal avant d’égrener quelques besoins urgents comme « des médecins du travail, des médecins scolaires pour les élèves ».

    Dans sa profession, qui réunit quelque 870 000 personnes en France, traditionnellement peu abstentionnistes, cette élection fera date. Jamais les enseignants n’auront été aussi nombreux, d’après une étude du Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences-po) à être autant tenté par l’abstention en ce second tour. Alors ce soir, Laurent Kaufmann ne veut pas que les conditions de cette élection tombent aux oubliettes. « Autour de moi, ça se radicalise. Nos conditions de travail se détériorent. L’accueil des enfants en pâtit. »

    La pandémie a été particulièrement difficile dans le 9-3. « Pendant le Covid, on a dû donner à manger à des familles démunies dans mon collège, c’était la première fois. Il y a trop de gens et de territoires qui se sentent oubliés dans ce pays », rappelle-t-il. Soudain, comme pour appuyer ces propos, le téléphone vibre à nouveau. Encore un « pote ». Laurent Kaufmann lit en souriant le nouveau message qui s’affiche : « Et maintenant, la guerre sociale ! »