14 ans après, le piège se referme sur «Mon gros loup»

Deux hommes et une femme ont été interpellés mardi, soupçonnés de lien avec le commando AZF qui voulait faire sauter des trains. Le trio nie toute implication.

 Des milliers d’agents de la SNCF avaient parcouru les 30 000 kilomètres de voies ferrées du pays à la recherche d’une bombe. Elle avait été retrouvée près de Limoges en février 2004. (Archives)
Des milliers d’agents de la SNCF avaient parcouru les 30 000 kilomètres de voies ferrées du pays à la recherche d’une bombe. Elle avait été retrouvée près de Limoges en février 2004. (Archives) Le Parisien/Aurélie Audureau

    Le jeu de piste avait duré un hiver entier et mobilisé des centaines de policiers. De décembre à mars 2004, « AZF », groupe de maîtres chanteurs inconnu jusqu'alors, narguait les plus hautes autorités de l'État, menaçant de faire exploser des bombes enterrées sous le ballast des réseaux ferrés. Messages codés échangés par petites annonces, remises de rançons avortées en hélicoptère, rendez-vous manqués… Ses membres n'avaient jamais pu être identifiés.

    Plus de quatorze ans après l'ouverture de l'enquête pour « association de malfaiteurs terroristes », trois personnes inconnues des services de police ont été placées en garde à vue ce mardi, comme l'ont révélé LCI et BFMTV. Ces deux hommes, âgés de 70 et 65 ans, et cette femme de 56 ans ont été arrêtés en Seine-Saint-Denis, dans l'Yonne et le Loiret par les policiers de la Sous-direction nationale antiterroriste (SDAT).

    L'hypothèse d'un mobile purement crapuleux est privilégiée par les enquêteurs. Ces derniers seraient remontés jusqu'à l'artificier présumé grâce à un renseignement obtenu il y a plusieurs mois. Une trace d'ADN masculin, retrouvée sur une boîte alimentaire en plastique contenant une bombe artisanale pourrait s'avérer déterminante.

    «Un groupe de pression à caractère terroriste secrètement créé»

    Les intéressés, qui se sont connus dans la même entreprise de distribution d'énergie, contestaient ce mardi soir toute implication dans cette affaire rocambolesque. Les enquêteurs s'intéressent notamment au passé du plus âgé des interpellés, aujourd'hui à la retraite, qui pourrait avoir acquis des connaissances pyrotechniques. Du matériel informatique et de la téléphonie ont été saisis lors de perquisitions.

    Le 11 décembre 2003, AZF annonce sa « prochaine entrée en scène » par un courrier de 2 pages adressé à l'Élysée et au ministère de l'Intérieur. Ses membres se présentent comme « un groupe de pression à caractère terroriste secrètement créé au sein d'une confrérie laïque à spécificité éthique et politique ».

    La lettre aurait pu aller à la corbeille tant elle semble peu crédible : la logorrhée d'AZF peut aussi bien évoquer des motivations d'extrême droite, d'extrême gauche, voire écologistes radicales. Mais après une période de silence, AZF annonce le « début de la campagne d'action ». Le groupe affirme que son « aimable artificier » a placé des bombes sur le réseau ferroviaire, exigeant 4 millions d'euros de l'État pour les désamorcer.

    Des milliers d'agents de la SNCF inspectent plus de 30 000 km de voies. Le 21 février 2004, en pleine période de vacances, l'un de ces engins est retrouvé sur la ligne Paris-Toulouse (Haute-Garonne) à hauteur de Folles, près de Limoges (Haute-Vienne) grâce aux indications d'AZF.

    Des négociations… par petites annonces

    Dès lors, les maîtres chanteurs - sous le sobriquet « Mon gros loup » - communiquent par des petites annonces dans Libération avec le ministère de l'Intérieur -pseudo Suzy ! Ce qui donne par exemple : « Mon gros loup, ne prenons pas de risques inutiles. Je te le redis, garanties pour cadeau. Parlons-en. Suzy », suivi d'un numéro de portable dédié à la négociation.

    Les négociations étaient réalisées par le biais des pages de petites annonces de Libération. /DR
    Les négociations étaient réalisées par le biais des pages de petites annonces de Libération. /DR Le Parisien/Aurélie Audureau

    C'est finalement une femme qui se manifeste depuis une cabine de la gare de Lyon (Rhône), d'un air martial pour dicter la marche à suivre. Ce chantage inédit est évoqué quotidiennement dans le bureau de Claude Guéant, directeur du cabinet de Nicolas Sarkozy. Lors de ces huis clos, on évoque notamment l'hypothèse d'un complot destiné à tourner en ridicule le ministre de l'Intérieur, dont les ambitions élyséennes affleurent déjà.

    La remise de rançon par hélicoptère doit permettre d'interpeller les suspects. Un dispositif terrestre et aérien d'ampleur est mis en place dans un rayon de 220 km autour de Paris. Mais la nuit interrompt le jeu de piste. « À l'époque, des moyens sans précédent avaient été déployés », relève Romain Icard, coauteur d'un livre référence sur l'affaire, « Suzy contre mon gros loup » (éditions Privé, 2004).

    Les bombes d'Al-Qaïda sifflent la fin de la partie

    Un événement dramatique change la donne : le 11 mars 2004, des bombes déposées dans des trains à Madrid par Al-Qaïda tuent plus de 200 personnes. À la fin du mois, en France, AZF annonce la « suspension de son action ».

    Le groupe ne donne plus signe de vie. Le dernier espoir de la PJ réside dans la diffusion de la voix de la femme ayant participé aux tractations. Mais les policiers n'obtiendront jamais l'autorisation du ministère de l'Intérieur de lancer cet appel à témoins. L'enquête semblait enterrée.