«Une lettre permet de s’adresser à chaque Français», estime l’historien Jean Garrigues

Pour l’historien Jean Garrigues, le choix de l’écrit pour Emmanuel Macron vise à réhabiliter sa parole et à s’inscrire dans une histoire présidentielle à la française.

 L’historien Jean Garrigues .
L’historien Jean Garrigues . DR

    Professeur d'histoire contemporaine à l'université d'Orléans, Jean Garrigues est spécialiste de la vie politique française aux XIXe et XXe siècles

    Pourquoi ce choix d'Emmanuel Macron d'une lettre plutôt qu'une émission TV, par exemple ?

    JEAN GARRIGUES. Une lettre présente deux vertus. D'abord, la précision de la phrase écrite où chaque mot est calibré, soupesé. Une lettre permet aussi de s'adresser à chaque famille, chaque Français jusque dans son intimité. Et à cet égard, la lettre aurait pu avoir plus de force si elle avait été envoyée par voie postale.

    François Mitterrand en 1988 et Nicolas Sarkozy en 2012 avaient eux aussi signé leur lettre aux Français. Emmanuel Macron n'est pourtant pas en campagne ?

    C'est vrai. Et la lettre d'Emmanuel Macron n'est d'ailleurs pas un programme de candidat. Mais ce n'est pas un hasard non plus si cette lettre intervient aujourd'hui. Comme Mitterrand qui sortait d'une cohabitation compliquée ou Sarkozy très impopulaire à la fin de son quinquennat, Macron se livre à cet exercice à un moment où la parole politique est délégitimée et où sa cote de popularité est extraordinairement basse. L'enjeu pour lui et le pays est donc majeur. Cette lettre est une tentative de réhabiliter sa parole et d'affirmer sa proximité avec les Français.

    N'est-ce pas une façon de répondre à la défiance des corps intermédiaires exprimée par les Gilets jaunes ?

    Effectivement. Ce lien entre les Français et les syndicats, le parlement ou les partis politiques est très distendu, depuis de nombreuses années, déjà, mais aussi du fait d'Emmanuel Macron lui-même. Par cette lettre, le président veut se reconnecter directement aux Français, Ce sera aux Français en retour, d'envoyer une réponse au chef de l'Etat d'abord, par le niveau de leur participation au grand débat national, puis par leurs doléances.

    C'est une lettre relativement courte par rapport à celles de Mitterrand ou de Sarkozy. Pourquoi ?

    Parce que, je le répète, ce n'est pas un programme. Mais aussi, parce qu' Emmanuel Macron souhaite que la consultation nationale soit la plus large possible. Il a donc fait en sorte que sa lettre soit lue et comprise par un maximum de personnes. Plus longue, il prenait aussi le risque de donner l'impression que c'était lui qui pilotait le débat. Un piège qu'il veut d'ailleurs éviter en ouvrant, de façon inattendue, les thématiques à l'asile-immigration ou à la laïcité.

    Comme la lettre, le rôle octroyé aux maires est une façon de recrédibiliser la parole publique ?

    Les maires restent très populaires. Ils ont d'ailleurs été les premiers à faire remonter la fracture entre les citoyens et ceux qui les gouvernent. Les maires, notamment ruraux, sont les premiers à se mobiliser pour accueillir les grands débats. Tenter de se re-crédibiliser sous la forme d'une lettre et propulser les maires au sein du débat national est très cohérent.

    Est-ce que ce sera efficace ?

    En tout cas, le fait d'écrire une lettre ne peut être considéré que comme un signe de sollicitude et de respect vis à vis des citoyens. Ses effets seront-ils importants ? Je l'ignore.

    Est-ce qu'une lettre n'est pas une façon de s'opposer une fois de plus à Donald Trump et ses tweets?

    Absolument. Emmanuel Macron se place volontairement dans le camp opposé à celui du président américain. Il veut réhabiliter une forme de communication datant peut-être d'un monde plus ancien. Le chef de l'Etat se situe dans le droit fil de l'héritage d'un président socialiste et d'un président de droite. Il veut s'inscrire dans une Histoire présidentielle à la française.