De « la honte » à la libération : la folle journée des supporters de Séville, finalement autorisés à Lens

À un peu moins de trois heures du convoi de Lens-Séville en Ligue des champions, le Conseil d’État a finalement suspendu les arrêtés interdisant la présence des supporters andalous. Reportage dans les rues de Lens avec des supporters français et espagnols en communion.

Ces six supporters du FC Séville, membre du groupe "Triana" ont déboursé entre 250 et 400 euros pour ce déplacement à Lens.
Ces six supporters du FC Séville, membre du groupe "Triana" ont déboursé entre 250 et 400 euros pour ce déplacement à Lens.

    Il est 15 heures dans ce « Airbnb » loué par Andrés et ses amis. Temps gris, atmosphère morose dans l’appartement, on tue le temps sans trop savoir comment. Bières et clopes pour les uns, douche en vitesse pour les autres. « Ce qu’il va se passer maintenant ? On n’en sait rien. C’est une honte de se retrouver dans cette situation. On paie un problème qui concerne votre pays. C’est clairement de la discrimination… »

    Andrés, 26 ans, attend comme les près de 360 fans du FC Séville en déplacement à Lens s’ils seront autorisés à sortir dans le centre-ville ce mardi et à se rendre au stade Bollaert. Pour l’heure, depuis ce matin 10 heures et jusqu’à 3 heures dans la nuit, il leur est interdit de se revendiquer supporter de leur club de cœur dans l’espace public. Alors ils anticipent le pire. « Il y a deux options en cas de refus. Soit aller au pub discrètement, soit regarder le match ici sur l’ordinateur. »

    Une heure plus tard, c’est la délivrance. Il n’y aura de plans B. Les notifications tombent en cascade sur leur smartphone. Le Conseil d’Etat suspend l’interdiction émise par la préfecture et le ministère de l’Intérieur. Un camouflet pour Gérald Darmanin - le deuxième en deux jours - et une sacrée frayeur qui prend fin pour les supporters espagnols.

    Scènes de liesse entre Lensois et Sévillans

    Maillots et écharpes du club et de leur kop bien dissimulés sous leurs vestes Andrés, Alvaro, Miguel, Borja, Fernando et Santi avaient choisi de profiter de l’ambiance sans attendre la décision, quitte à être « surveillés par la police ». Ils peuvent jubiler. Devant la Irish Tavern, le QG de toujours des supporters en déplacement, la bande se prend dans les bras. « Welcome, welcome », leur lance des locaux en train de multiplier les accolades aux premiers venus.

    Ces scènes de communion se répèteront jusqu’à l’arrivée à Bollaert. En début de rencontre, un tifo hostile à Gérald Darmanin et aux préfets («médailles d’or de l’incompétence aux JO 2024 », sera aussi déployé quelques minutes en tribune Marek. Manuel, responsable du groupe « Triana » dont fait partie Andrés, n’en revient pas de cet accueil des Artésiens. « Franchement, ils ont été incroyables depuis hier. Certains nous avaient donné leurs numéros de téléphone et dit de les contacter au cas où le Conseil d’Etat confirmait l’interdiction. Ils nous disaient de ne pas nous inquiéter, qu’ils nous donneraient leurs places », raconte, stupéfait, ce Sévillan passé par Grenoble et très à l’aise en français.

    À l’image des Ultras des Red Tigers, la direction du RC Lens mais aussi la mairie ont tenu à dénoncer cette situation et à soutenir les recours déposés. Pour rappel, la préfecture avait justifié sa décision d’interdiction par les « débordements » et les « heurts » ayant eu lieu lors de précédents déplacements des fans andalous. Et par le contexte très tendu dans l’Hexagone dix jours après la mort d’un supporter nantais avant une rencontre de Ligue 1 entre le FC Nantes et Nice. Or, pour le Conseil d’Etat, « il n’est pas contesté qu’aucune rivalité n’existe entre les deux clubs et leurs supporters ainsi qu’en témoigne le déplacement sans incident avéré de 2000 supporters lensois à Séville pour le match du 20 septembre 2023. »

    Près de 360 Sévillans attendus, dont « une cinquantaine d’Ultras »

    Pour Manuel, une cinquantaine d’Ultras sont effectivement présents à Lens ce mardi soir. « Mais ce ne sont pas des gens qui cherchent la violence, ils sont dans le bar avec nous en ce moment-là », dit-il en se retournant devant l’Irish Tavern, de plus en plus remplie.

    Pour la plupart des personnes interrogées, le résultat du match (coup d’envoi 18h45), pourtant crucial en vue de la qualification pour les 16e de finale de Ligue Europa, n’a plus vraiment d’importance. « Pff le score… Là, on veut s’amuser entre amis, comme c’était prévu. C’est un voyage entre amis », ajoute Manuel. Ce voyage, calé en septembre juste après le tirage au sort des poules de Ligue des champions, leur aura coûté entre 250 et 400 euros tout compris. Et quelques sueurs froides. Ils risquaient jusqu’à six mois de prison et 5000 euros d’amende de la part de l’État français. « On a tous déjà fait des tas de matchs à l’extérieur. Franchement, on n’y croyait plus, c’est dingue ce qu’il est passé. On n’avait jamais vécu ça », souffle Andrés, encore sonné malgré le dénouement.