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Comment les thérapies douteuses envahissent les soins remboursés de santé mentale

08 novembre 2023
thérapie de groupe

L'assurance maladie obligatoire rembourse depuis peu des traitements de groupe dispensés par des psychologues conventionnés. C'est une bonne chose ... à condition que ces thérapies soient scientifiquement fondées. L’analyse des offres de groupe actuelles révèle que ce n'est pas toujours le cas.

De l'équicoaching aux séances de marche holistique

Depuis quelques années déjà, le gouvernement fédéral débloque 165 millions d'euros par an pour le remboursement de séances avec un psychologue conventionné ou un éducateur spécialisé. Cet argent ne sert pas uniquement aux séances individuelles. Il finance également des interventions de groupe.

Cette offre de groupe a mis du temps à décoller, mais elle s'est nettement développée l'année dernière. Les chiffres que nous avons obtenus auprès de l'INAMI montrent que les réseaux ont déjà organisé, pendant la période entre mai 2022 et août 2023, un total de 8 428 séances de groupe auxquelles 45 845 personnes ont participé. Coût pour la société : 3 150 652 euros.

Où trouver un psychologue conventionné?

 

Pourquoi cette offre de groupe doit-elle être fondée scientifiquement? 

Les traitements de groupe ont l'avantage d'offrir un contact avec des personnes partageant les mêmes difficultés, ce que certains apprécient. L’offre de groupe pourrait peut-être aussi réduire la pression sur les listes d'attente pour les consultations individuelles. Dès lors, il est donc souhaitable que l'assurance maladie obligatoire puisse rembourser les séances de groupe. Mais nous estimons que ces séances doivent avoir une base scientifique suffisante.

Les participants doivent pouvoir partir du principe que l’efficacité des interventions auxquelles ils se soumettent est en moyenne supérieure à celle d’un traitement placebo (thérapie fictive). Ils doivent également avoir la conviction que les traitements soutenus par les pouvoirs publics dans le cadre de ce système sont suffisamment sûrs.

Un traitement psychique peut-il donc être nocif ? Cela arrive. Il a été démontré à plusieurs reprises dans le passé que certaines thérapies psychologiques font plus de mal que de bien.

Certains traitements psychologiques font plus de mal que de bien. Un exemple bien connu est le "Critical Incident Stress Debriefing", une thérapie de groupe visant à surmonter les traumatismes.

 

Dans l'idéal, les personnes en proie à des problèmes psychologiques doivent d'abord avoir accès aux interventions pour lesquelles les preuves d'efficacité et de sécurité sont les plus solides. Ce principe devrait également s'appliquer aux séances de groupe. D'autant que le nombre de séances de groupe auxquelles on peut accéder est limité pour l'instant (un maximum de 5 à 15 par an, selon votre situation, que vous pouvez vérifier ici). Vous n’allez quand même pas "gaspiller" le remboursement d’un traitement mal étudié, alors qu'il existe des solutions préférables ?

Pour la collectivité également, il est important que les pouvoirs publics utilisent aussi efficacement que possible des ressources limitées. L'argent public que l’Etat consacre à des traitements potentiellement inutiles n’est plus disponible pour des interventions dont l'efficacité et la sécurité ont bel et bien été prouvées.

Les offres actuelles ne sont pas toujours fondées sur des données scientifiques

Après un examen attentif des offres actuelles, et au vu des informations obtenues sur le contenu de certains traitements, nous craignons qu’on soit encore bien loin de ce scénario idéal. Certaines formations/thérapies proposées semblent manquer sérieusement de bases scientifiques !

Quelques exemples :

  • une thérapie de groupe Constellations familiales, pour résoudre des problèmes familiaux ou professionnels ;
  • un traitement de groupe intitulé "Récupération post-traumatique", basé sur un yoga adapté aux traumatismes et sur la pensée controversée du gourou des traumatismes Bessel van der Kolk ;
  • une formation d'équicoaching pour améliorer sa confiance en soi ;
  • des séances de promenade avec "travail corporel" dispensées par des coachs "holistiques", afin d'éliminer les "blocages" et de rétablir votre flux énergétique ;
  • une formation "Cercles de connexion (cercle d’influence, cercle de préoccupation …)" fondée sur l’enseignement du gourou en management Stephen Covey, combinée à de la danse et du chant, pour renforcer votre "force intérieure" ;
  • une formation en "sophrologie" (développement de la sérénité) basée sur toutes sortes de techniques d’amélioration de la conscientisation pour combattre le stress ;
  • des séances de groupe sous forme de visites "sensorielles" dans un musée, pour se reconnecter à soi-même et prévenir le burn-out par le contact avec l'art.

Plus d'informations sur ces exemples

Vous trouverez ici plus d'informations sur ces traitements/formations et sur les raisons pour lesquelles nous jugeons problématique qu'ils soient remboursés par l'assurance maladie obligatoire. En quelques mots : ils coûtent au contribuable entre 318 et 400 euros par séance sans qu’il soit prouvé qu'ils offrent une valeur ajoutée par rapport à un traitement placebo (thérapie fictive).

Il n'est pas scientifiquement prouvé que l'équicoaching permet de s'affirmer davantage.

Problème de contrôle de qualité

La question clé est la suivante : comment des traitements sans preuve scientifique peuvent-ils être inclus dans l'offre de groupe remboursée ? Voilà qui met en évidence les problèmes de contrôle de qualité.

Actuellement, les offres de groupe sont organisées régionalement par 32 réseaux différents de santé mentale, qui doivent chacun élaborer séparément une offre de groupe de qualité pour leur propre région. Comment doivent-ils procéder ? Sur quels critères doivent-ils baser leur sélection parmi les traitements de groupe candidats ? De différentes sources, il nous est revenu que les pouvoirs publics n’ont pas édicté à cet effet de critères spécifiques fondés scientifiquement. L'accord entre les réseaux et l’INAMI précise toutefois que le gouvernement fédéral fournira des "lignes directrices fondées sur les preuves, la pratique et l'expérience" ...

Par conséquent, chaque réseau contrôle à sa manière la qualité de l'offre. Chez l'un, les coordinateurs soumettent chaque proposition d'offre de groupe à un double examen anonyme par un partenaire externe disposant d’une expérience académique. Chez tel autre, l’évaluation du sérieux scientifique de l'offre est totalement abandonnée aux psychologues qui organisent les séances de groupe.

En d'autres termes, il n'y a pas de politique uniforme de qualité, et c'est évidemment une source de problèmes.

En outre, ceci vient s’ajouter à un problème que nous avons déjà constaté à propos de l'accompagnement individuel proposé par certains psychologues conventionnés. Nous avons trouvé sur le site internet de deux réseaux différents des propositions pour une "programmation neurolinguistique" (PNL) . Or, selon nous, cette méthodologie ne ressort absolument pas de la psychologie clinique. Il s'agit de pseudo-psychologie ! Lorsque nous avons interpellé ces réseaux, l'un d'eux a retiré ce traitement de son site web, ce dont nous nous félicitons.

Manque de lignes directrices pour les psychologues

On peut ensuite se demander comment il se fait que les psychologues proposent des interventions qui ont à peine fait l'objet de recherches, alors qu’ils sont censés fonder leur travail sur des connaissances scientifiques. C’est pourtant ce que leur impose un récent Arrêté Royal, selon notre interprétation.

"Les psychologues sont en effet tenus de proposer une offre suffisamment étayée par les résultats, ce qui est également exigé par le code déontologique", fait valoir le Prof. Dr. Patrick Luyten, professeur à la KU Leuven et vice-président de l'Association flamande des psychologues  cliniciens. "Nous sommes conscients qu'il existe un petit sous-groupe de psychologues cliniciens qui ne respecte pas ces exigences."

Pour quelles raisons ? Selon le prof. Luyten, cela est dû à un manque de connaissances des méthodologies qui ont une réelle base scientifique, comme la mentalisation et la thérapie des schémas pour certaines indications (ce sont ses propres exemples). "Nous devrions consacrer plus d'efforts à la formation continue des psychologues. Nous y travaillons actuellement".

Le psychologue Dr. Kris Martens, attaché au Centre de psychologie de l'apprentissage et de psychopathologie expérimentale de la KU Leuven, invoque également le manque de lignes directrices claires, fondées scientifiquement, sur les traitements à privilégier par les psychologues. "En l'absence de directives claires, les praticiens se rabattent sur des interventions qui, sur la base de leur expérience clinique, leur semblent efficaces, mais ne le sont pas nécessairement".

L'expérience clinique n'est malheureusement pas toujours fiable, nous explique le Dr. Martens. Les psychologues sont eux aussi susceptibles de commettre des erreurs de raisonnement. Un thérapeute peut, par exemple, conclure à l’efficacité d’une intervention parce qu'elle a été suivie d’une amélioration des symptômes alors que, en réalité, le progrès est le résultat du seul effet placebo. Il peut aussi inconsciemment accorder plus d'attention aux cas qui se terminent bien, ce qui crée une image déformée de la situation.

Il n’existe aujourd’hui que quelques lignes directrices à la disposition des psychologues sur ebpracticenet (www.ebpnet.be), une base de données financée par les pouvoir publics avec des directives et des informations fondées sur des données probantes, à destination des prestataires de soins de santé belges. "Mais cette offre doit encore s'étoffer", considère le Dr. Martens, "et il reste du pain sur la planche pour amener les psychologues à utiliser ces lignes directrices". En effet, aucun réseau n'offre actuellement de formation sur l'utilisation de ces lignes directrices.

Des améliorations en vue?

Nous avons informé de nos conclusions le cabinet du ministre de la Santé Frank Vandenbroucke. Son porte-parole nous a fait savoir que des discussions étaient en cours pour améliorer le système des psychologues conventionnés et que nos informations étaient "pertinentes" à cet égard.  Il nous reste à espérer que cela signifie que nos conclusions seront prises en compte.

Le ministre aurait d’ores et déjà prévu de créer une "base de données des pratiques EBP" (pour Evidence Based Practice) en soutien des réseaux et des psychologues. On s’attellerait également à élargir les lignes directrices et les recommandations à l’intention des psychologues. Il s’agirait aussi d’augmenter en 2024 le nombre de formations consacrées aux programmes fondés scientifiquement.

Nous espérons donc une amélioration et nous suivons le dossier.