Comment les thérapies douteuses envahissent les soins remboursés de santé mentale

Voici un aperçu de quelques thérapies douteuses que nous avons rencontrées :

• Constellations familiales
• Equicoaching
• Séances de marche holistique
• Thérapie de groupe "Récupération après un trautmatisme"
• Sophrologie
• Atelier "Cercles de connexion"
• Visite de musée pour prévenir le burn-out

1. Constellations familiales

En été 2023, est apparue à Anvers la thérapie de groupe "constellations familiales", développée par le psychothérapeute allemand controversé Bert Hellinger. A en croire la brochure, cette thérapie vise à mieux comprendre les enchevêtrements relationnels à l’origine des problèmes.

Comment se déroule cette thérapie?

Pour savoir en quoi consiste exactement ce traitement, nous avons fait appel à un client mystère qui a eu un entretien exploratoire avec la psychologue qui propose cette thérapie. Celle-ci lui a expliqué ce qui suit:

"La thérapie de groupe s’étale sur huit séances. Lors de la première, les participants doivent dessiner leur arbre généalogique sur au moins trois générations. Cette étape est importante pour mieux comprendre les problèmes qui se transmettent de génération en génération, comme la violence à l’égard des enfants ou le divorce. Lors des autres sessions, chaque participant est invité à réaliser une constellation familiale.

Quand votre tour arrive, vous devez d’abord présenter brièvement votre famille et exposer votre problème principal. Ensuite, vous désignez des personnes du groupe pour personnifier votre père, votre mère, vos frères et sœurs, etc.Vous devez tous les placer à un certain endroit de la pièce.

La façon dont vous les placez  et la direction dans laquelle les représentants regardent en dit long sur les relations entre les membres de la famille. Sans vous en parler, les représentants sentiront exactement ce qui se passe. Finalement, vous aurez l'occasion d'ajuster la constellation et éventuellement de vous placer entre eux. Vous devriez alors ressentir les effets sur vous et sur la dynamique familiale".

L'objectif, selon la brochure, est de trouver le "bon" endroit et de libérer une nouvelle énergie...

Que dit la recherche scientifique?

En 2021, des chercheurs ont passé en revue les résultats des 12 "meilleures" études consacrées à cette méthodologie. Cette analyse ne permet pas de tirer des conclusions. La qualité de ces études laisse à désirer. Par exemple, la plupart des études ne comportaient pas de groupe de contrôle. Cela pose problème, car les améliorations constatées pourraient alors être le résultat de facteurs sans lien avec la thérapie, comme l'effet placebo. Les études qui, comportaient bel et bien un groupe de contrôle comparaient les participants à des personnes inscrites sur une liste d'attente, ce qui n'est pas idéal non plus. Tout au plus cela peut-il nous apprendre qu'il vaut mieux faire "quelque chose" que ne rien faire du tout.

Jusqu'à présent, il n'y a donc pratiquement aucune preuve que cette thérapie soit plus bénéfique qu'un effet placebo, alors qu'à notre avis, elle peut comporter des risques. Le rôle joué par les représentants (des personnes que vous ne connaissez pas du tout) des membres de votre famille ne correspond pas nécessairement à la réalité. Il ne nous paraît pas exclu que, sur base de ce qu’ils vous rapportent, vous commenciez à voir des problèmes ou des conflits là où il n’y en a pas.

2. Equicoaching

Un atelier de groupe "Oog in oog met een paard" (Les yeux dans les yeux avec un cheval) a récemment été organisé à Poperinge (cinq séances). Objectif de cet atelier : utiliser les chevaux pour apprendre à mieux se prendre en charge et à poser des limites. Un de nos collaborateurs a pris part à ces séances.

Comment se déroule l'atelier?

Voici  le récit de  notre collaborateur :

"La plus grande partie de la formation a consisté à nous apprendre des techniques pour faire obéir les chevaux. Par exemple, nous devions les conduire d'un pâturage à l'autre. De manière amicale, sans aucune agressivité. Ce n'est pas évident, car les chevaux ne font pas ce que vous voulez."

"Si vous êtes stressé ou effrayé, les chevaux sont censés le sentir et obéir moins bien. Il s’agissait donc de nous efforcer de rester calmes et d’adopter une attitude ferme, dégageant de la force. De tels exercices avec les chevaux devraient se traduire dans la vie de tous les jours par des relations plus harmonieuses avec les gens"

"En outre, nous avons également fait quelques exercices sans chevaux. Par exemple, nous avons dû nous tenir mutuellement à distance à l’aide d’une cravache, pour préserver notre zone de confort. Le psychologue nous a parlé des pensées utiles et inutiles, et nous avons également pratiqué de temps en temps une sorte d'exercice de méditation."

Que dit la recherche scientifique?

Nous n'avons pas trouvé dans la littérature scientifique d'étude sérieuse établissant que le travail avec les chevaux améliore la confiance en soi. Même pour d'autres indications, l'utilité du coaching ou de l'équicoaching n'a pas encore été prouvée. La recherche sur ce que l'on appelle les "thérapies assistées par les chevaux n'en est encore qu'à ses débuts.

3. Les marches holistiques

En Campine, vous pouvez participer à des séances de promenade à Huis Peonia (un "Centre de santé holistique" qui dispense également des "soins énergétiques") aux frais de l'assurance maladie. Les séances sont guidées par deux psychologues qui sont également des coachs holistiques. Le groupe cible: des (jeunes) adultes qui ont le sentiment de se trouver à la croisée des chemins dans leur existence. Le cursus promet  d'ccroître l’énergie, la résilience et le bonheur. "Ensemble, nous nous attaquons aux blocages afin de rétablir les flux d’énergie", indique la brochure...

Comment se déroule ces séances?

Outre la marche, la psychologue qui organise ces séances expliqe que le programme comprend également un travail corporel pour traiter les "traumatismes" qui seraient bloqués quelque part dans l’organisme. Les séances comprennent du yoga et de la méditation ambulatoire. Vous bénéficiez également d'un traitement appelé "expérience somatique" (somatic experiencing) et d'exercices de réduction des traumatismes et des tensions imaginés par David Berceli. Un exemple de ces exercices : se secouer violemment pour libérer l'énergie prétendument piégée dans le corps par un traumatisme ...

Le travail sur le thème du traumatisme pratiqué lors de ces séances nous inquiète, car le cours ne s'adresse pas spécifiquement aux personnes ayant subi un traumatisme. Or, il arrive assez souvent que des personnes sans traumatisme se voient évoquer un traumatisme au cours d'une thérapie.

Que dit la recherche scientifique?

Il n'existe aucune preuve scientifique qu'un traumatisme puisse se loger où que ce soit dans l’organisme.

L'expérience somatique a fait l'objet de quelques recherches en tant que traitement des traumatismes pour les personnes souffrant de symptômes post-traumatiques (qui ne constituent pas le groupe cible de ce cours). Mais même dans ce contexte, les preuves d'efficacité restent très minces.

Les exercices de réduction des traumatismes et des tensions de David Berceli sont censés reposer sur des bases scientifiques, mais ce n’est pas le cas. Il n'existe pas d'études sérieuses sur l'efficacité de cette méthode. Des voix critiques la qualifient même de pseudo-scientifique, car les affirmations sous-jacentes n'ont aucun sens scientifique.

4. Récupération post-traumatique 

Cette thérapie de groupe organisée à Kalmthout s'adresse aux personnes ayant vécu une expérience traumatisante. Ce traitement est censé vous apprendre comment vous défaire des conséquences désagréables du traumatisme et reprendre le contrôle de votre vie.

Que se passe-t-il lors de ces sessions?

Le programme de groupe comprend douze séances. À chacune d’entre elles, vous recevez une information et vous discutez entre vous de la façon dont le traumatisme affecte la vie quotidienne et de la manière dont vous pouvez y remédier, a expliqué la psychologue à notre client mystère. Pendant le reste de la séance, vous faites du yoga adapté aux traumatismes. Il s'agit d'une forme très douce de yoga qui met l'accent sur la conscience du corps, les soins personnels et le libre choix. Le yoga doit vous aider à relâcher les tensions, à prendre soin de vous et à vous réconcilier avec votre corps.

Que dit la recherche scientifique?

Le psychologue explique que son approche est basée sur les idées du psychiatre controversé Bessel van der Kolk, auteur du best-seller Le corps n’oublie rien. Ce qui n'a rien de très rassurant, car cet homme explique les traumatismes à l'aide de théories dépassées sur le fonctionnement du cerveau, comme la théorie polyvagale et celle du cerveau triunique. Le médecin est controversé pour avoir diffusé des allégations non prouvées sur les souvenirs refoulés.

Le yoga peut sans aucun doute être relaxant et faire du bien, mais les preuves selon lesquelles cette "thérapie" est efficace pour traiter les symptômes post-traumatiques sont encore plutôt minces. Une étude récapitulative récente a montré que le yoga adapté aux traumatismes n'avait (quasi) aucun effet sur des femmes traumatisées.

5. Sophrologie

Dans le Brabant Wallon, vous avez depuis peu la possibilité d’assister à cinq séances de "sophrologie" pour gérer votre stress. Vous trouverez ici le dépliant.

Qu'est-ce que la sophrologie?

La sophrologie est parfois décrite comme "l'apprentissage" de la conscience de soi. Selon la sophrologie, il existe trois niveaux de conscience : la conscience pathologique, la conscience normale et la conscience "sophronique". 

La relaxation, la respiration et certaines postures conduiraient à un état de conscience plus profonde que notre conscience normale. Cet état est appelé "sophronisation". En atteignant cette conscience plus profonde, vous seriez mieux à même de libérer vos peurs et de réguler vos émotions.

Dans ce cours, on vous enseigne différents exercices de relaxation, comme des exercices de respiration. Vous apprenez à les appliquer dans votre quotidien. Le programme prévoit également un enseignement sur les mécanismes du stress, ses signes avant-coureurs et la meilleure façon d'y faire face.

Que dit la recherche scientifique?

Bien que certains sophrologues prétendent que la sophrologie est une "science", cette discipline n'a rien à voir avec la science. La théorie sous-jacente s'avère largement spéculative. Contrairement à ce que d’aucuns affirment, la répartition en différents niveaux de conscience, par exemple, n'a rien de scientifique. Plusieurs organismes qualifient la sophrologie de pseudo-science.

En 2020, l'Institut français de la santé et de la recherche médicale (INSERM) s'est penché sur la sophrologie. Sur la base d'une analyse de toutes les études disponibles, l'institut a conclu que son efficacité n'est pas prouvée. Des points d'interrogation subsistent également quant à d'éventuels effets indésirables.

6. Ateliers "Cercles de connexion"

En Campine, vous pouvez suivre l'atelier "cercles de connexion" (dix séances). Il se déroule dans un centre holistique et est encadré par un psychologue et un coach spécialisé dans les thérapies surnaturelles et alternatives, telles comme le chamanisme, le Reiki et l'enseignement des chakras (qui ne figureraient toutefois pas dans le programme). Le public cible: "des adultes en quête de connexion, d'inspiration et de soutien. Pour ceux qui veulent renforcer leur force intérieure et vivre à partir de leur moi authentique."

De quoi s'agit-il ?

"Le cercle de connexion est une réunion où nous pouvons ÊTRE en toute confiance et en toute sécurité", avec nous-mêmes et avec les autres, indique le dépliant. "Nous utilisons la méditation, le travail corporel, le travail énergétique, le yoga, le travail respiratoire, les rituels, la danse, le chant".

Que faut-il entendre par "travail énergétique" ? Pour beaucoup, ce terme évoque spontanément des traitements comme le Reiki (transmission d’une énergie curative à une autre personne par imposition de ses mains). Mais ces méthodes alternatives ne sont pas abordées dans ce cours, nous a expliqué le psychologue qui l’organise. Le terme "travail énergétique" utilisé dans le cours fait référence à des exercices où l'on réfléchit, par exemple, aux activités qui nous donnent de l'énergie et à celles qui nous en prennent. La coach spécialisée dans le Reiki et les chakras qui co-enseigne ce cours devra donc se retenir...

Basé sur un modèle dépassé

Si le Reiki ou les chakras ne sont effectivement pas au programme, c'est évidemment une bonne nouvelle. En effet, le Reiki n’a pas plus d’effet qu'un placebo et les chakras n'existent pas.

Moins réjouissant : le psychologue nous a informé que son atelier était basé sur le modèle de Stephen Covey. Il s'agit d’un célèbre gourou du management qui prêche toutes sortes d’exercices et de leçons moralisatrices sans preuves scientifiques ... L'Evidence-Based Compass for coaching du Poolstok (Centre flamand de sélection du personnel de la fonction publique) qualifie ce modèle de "dépassé".

7. Des visites au musée"sensorielles" pour prévenir le burn-out

Dans le Brabant wallon, on vous propose de prévenir le burnout par cinq visites de musée, aux frais de l'assurance maladie et sous la conduite d'une psychologue et d'une experte. Groupe cible : tous les adultes

Contenu de l'atelier

Il ne s'agit pas d'une formation, mais d'un "processus expérientiel", nous a expliqué la psychologue. Guidé par cette dernière et une historienne de l'art (qui a elle-même-même vécu un burn-out), vous apprendrez au cours de ces séances à expérimenter ce que l'art peut faire pour vous. L'objectif est de se reconnecter à soi-même par le biais de l'art. Consulter le dépliant (pdf).

Pas d'étude convaincante

Est-il prouvé que les "expériences sensorielles" (comme les appelle la psychologue) dans un musée aident à prévenir le burn-out ? Nous n'avons trouvé dans la littérature scientifique aucune étude convaincante qui vienne étayer cette allégation.

Pour prouver l'efficacité de cet atelier, la psychologue se réfère à deux sources:

1. Une étude de l'Organisation mondiale de la santé qui démontrerait l'importance de l'art pour la santé mentale. En y regardant de plus près, il s'agit de ce que l'on appelle une "scoping review" (étude de la portée). Sur la base de ce type d'étude, il n'est pas possible de tirer des conclusions sur l'efficacité de l'art-thérapie, par exemple. L'objectif de cette étude était d'obtenir une vue d'ensemble des recherches disponibles sur le lien entre l'art et le bien-être mental.
2. Un projet de la ville de Bruxelles et du CHU Brugmann dans lequel des médecins prescrivent des visites au musée. A notre connaissance, les résultats de cette expérience n'ont été publiés nulle part (nous les avons demandés mais n'avons rien reçu). Nous ne pouvons donc rien en conclure pour l'instant.