SNCF : le casse-tête de la dette en cinq questions

Le réseau ferroviaire français traîne un endettement d’environ 55 milliards d’euros. Un montant colossal que l’Etat rechigne, pour l’instant, à assumer.

 Le développement massif des lignes à grande vitesse a nécessité des investissements massifs pendant une vingtaine d’années.
Le développement massif des lignes à grande vitesse a nécessité des investissements massifs pendant une vingtaine d’années. AFP

    Son ombre plane au-dessus du conflit social de la SNCF. La dette accumulée par le système ferroviaire français atteint 54,5 milliards d'euros. La prise en charge de ce montant colossal, supérieur au budget annuel de l'Education nationale, est au centre des discussions entre gouvernement et syndicats. Ces derniers souhaitent que l'Etat s'engage clairement à reprendre tout ou partie de ce fardeau financier. Tandis que le gouvernement conditionne cette reprise à la mise en application de profondes réformes.

    D'où vient la dette de la SNCF ?

    Partout en Europe, le développement du réseau de chemins de fer moderne s'est accompagné d'un endettement important en raison des investissements massifs à consentir pour la construction du réseau, son exploitation et son équipement.

    Lors de sa création en 1937, la Société nationale des chemins de fer est déjà fortement endettée. A partir de 1991, l'Europe demande aux Etats de préparer l'ouverture à la concurrence en séparant la gestion du réseau de l'activité transport. Cela se traduit par la création de deux sociétés distinctes en 1997 : Réseau ferré de France (RFF), en charge de l'insfrastructure, et plombé d'emblée par un déficit de plus 20 milliards d'euros de dettes... et la SNCF, en charge de l'exploitation commerciale.

    En 2015, ce binôme est restructuré en trois entités : une société mère et deux sociétés soeurs, SNCF Réseau (ex RFF) et SNCF Mobilités, entité regroupant les activités de transports de voyageurs. La dette de la SNCF est donc l'addition des dettes de la branche Reseau (46,6 milliards) et de la branche Mobilités (7,9 milliards) : soit un total de 54,5 milliards de déficit.

    Pourquoi la dette augmente-t-elle sans cesse ?

    En vingt ans, l'extension rapide des liaisons TGV a eu pour conséquence le doublement de l'endettement de la SNCF. De surcroît, pendant que le TGV se développait dans toutes les métropoles régionales, la maintenance du réseau secondaire a été mise entre parenthèse. Ce report demande aujourd'hui d'importants efforts de rattrapage, de l'ordre de trois milliards par an.

    Pour se financer, SNCF Réseau perçoit des droits de péage, facturés à SNCF Mobilités et à ses concurrents. Mais à l'origine, ces droits étaient modiques et n'ont pas permis de compenser la lourdeur des investissements. La baisse de fréquentation de certaines lignes a créé des pertes, épongées par la SNCF.

    Les seuls intérêts de la dette de SNCF Réseau (46,6 milliards) coûtent plus de 1 milliard d'euros chaque année, pour un chiffre d'affaires de 6,5 milliards d'euros. D'autre part, le coût de construction des lignes à grande vitesse n'a cessé d'augmenter. Le coût du kilomètre est passé de 4,9 millions d'euros en 1981 sur la Paris-Lyon à 23 millions de nos jours pour le tronçon Tours-Bordeaux.

    Le Technicentre SNCF du Landy à Saint-Denis (Seine-Saont-Denis)./LP/JEAN-GABRIEL BONTINCK
    Le Technicentre SNCF du Landy à Saint-Denis (Seine-Saont-Denis)./LP/JEAN-GABRIEL BONTINCK AFP

    Quelles sont les solutions envisagées pour résorber la dette ?

    La question préoccupe les pouvoirs publics depuis plus de 20 ans. Plutôt que transférer ce fardeau sur ses comptes publics, l'Etat français a décidé de créer, en 1995, un mécanisme appelé « service annexe d'amortissement de la dette » (SAAD). Cet outil permet de ne pas plomber le déficit public, censé se limiter à 3% du PIB, tout en préservant les comptes de la SNCF. La dette cumulée du réseau ferroviaire représente désormais 2 points de PIB. Aucun gouvernement français n'a jusqu'ici assumé de creuser l'endettement national en y ajoutant officiellement celui du transport ferroviaire.

    En 2014, une partie de la dette de la SNCF a été cependant requalifiée en dette publique. L'Etat français détient officiellement 10 milliards d'euros de dette SNCF. Reste la modique somme de 46 milliards d'euros à traiter…

    Dans sa réforme, le gouvernement d'Edouard Philippe demande à ce que la SNCF change son organisation pour renouer durablement avec les bénéfices. « La priorité, c'est transformer la SNCF, la rendre plus compétitive, dégager des bénéfices et au bout du compte, à la fin de cette transformation, nous pourrons envisager que l'Etat reprenne la dette de la SNCF», déclarait Bruno Le Maire, le ministre de l'économie, le 27 février.

    Pourtant, les ordonnances prises le 14 mars n'évoquent pas directement le traitement du déficit de la SNCF par l'Etat. Elles présentent en revanche des modifications juridiques permettant à SNCF Réseau de s'endetter sans limite.

    La CGT propose de son côté de nationaliser les concessions autoroutières et d'affecter leur produit à une caisse d'amortissement créée par l'Etat pour résorber la dette de la SNCF. Autre proposition : affecter une partie de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) au financement des infrastructures ferroviaires.

    Le statut des cheminots pèse-t-il sur les finances de la SNCF ?

    Les syndicats de la SNCF soulignent que la dette historique de la Société n'est pas liée au fameux statut des cheminots. Un argument de poids avec lequel le secrétaire d'Etat de la fonction publique, Olivier Dussopt (ex-PS), est d'accord. « Le gouvernement, le Premier ministre lui-même, tout le monde s'accorde à dire que la dette de la SNCF n'est due ni au statut de cheminot, ni à l'implication des agents. C'est le résultat de choix faits pendant 20 ou 30 ans », a-t-il déclaré jeudi sur Sud Radio. Les charges sociales et les différents dispositifs du statut des cheminots pèsent peu comparés aux investissements et aux déficits cumulés du système ferroviaire. Les syndicats de la SNCF vivent d'autant plus mal la remise en cause du statut de cheminot pour les futurs embauchés.

    La SNCF gagne-t-elle malgré tout de l'argent ?

    Ce n'est pas le moindre des paradoxes. Malgré les pannes à répétition et les critiques, le groupe SNCF a enregistré d'excellents résultats commerciaux en 2017. Le succès des nouvelles lignes TGV, les hausses de fréquentation des TER, Transiliens ou bus Keolis boostent le chiffre d'affaires, qui a bondi l'an dernier de 4,2% pour s'établir à 33,5 milliards d'euros. Le groupe peut même se targuer d'un bénéfice net de 1,33 milliard d'euros, tout en investissant près de 9 milliards. Mais ces bons chiffres sont en partie dus à des déductions fiscales et aux filiales étrangères de la SNCF. Un chose est sûre : même avec un trafic au beau fixe, la SNCF n'a pas les moyens d'honorer sa dette seule.