Migrants : Paris, le nouveau Calais

Près de 3000 migrants sont installés dans le nord de la capitale et 550 supplémentaires arrivent chaque semaine. Nous sommes allés à la rencontre de ses hommes déracinés et des riverains qui vivent au plus près de ces camps.

 Sur le camp de migrants du Canal Saint-Martin, les tentes s'accumulent sur les berges du bassin Louis Blanc.
Sur le camp de migrants du Canal Saint-Martin, les tentes s'accumulent sur les berges du bassin Louis Blanc. LP/J.-N. Guillo

    De dérisoires habitats de fortune, au pied du colossal centre commercial du Millénaire. Sur les rives du canal Saint-Denis, quais du Lot et de l'Allier, aux confins du XIX e arrondissement et d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), les tentes igloo ne cessent de fleurir, depuis le mois de février dernier, pour accueillir les migrants qui continuent d'affluer — quelque 80 personnes chaque jour — dans la capitale.

    Aujourd'hui, ils sont près de 2 500, originaires en majorité de la corne de l'Afrique. 60 % d'entre eux sont Erythréens ou Soudanais. La plupart obtiendront probablement, à la fin d' un interminable parcours migratoire, un titre de séjour en Europe.

    Alors que le projet de loi Asile et immigration, adopté ce lundi en première lecture à l'Assemblée, prévoit un durcissement considérable des conditions d'accueil en France, Paris est toujours au cœur d'une crise migratoire sans précédent. Depuis 2015, 30 camps ont été évacués dans le Nord-Est parisien. Et ce vendredi, pour la cinquième fois, la maire de Paris Anne Hidalgo sera au cœur du campement du Millénaire, accompagnée de personnalités, pour que les 2 500 ne tombent pas dans l'oubli. Et pour rappeler, surtout, l'Etat à ses responsabilités.

    «J'ai peur ici, à côté de l'eau : un homme est déjà tombé dans le canal…»

    Sur les rives du canal, le temps semble s'étirer à l'infini, entre douches sommaires et lessives. Quai du Lot, deux hommes s'affairent avec des bâtons autour d'un rat mort, recouvert d'un linge, qu'ils jettent dans le canal. La mine grave, Inna, assis en tailleur sous sa toile de tente, esquisse un geste désabusé : « C'est très difficile. Je reste là, toute la journée à ne rien faire depuis trois semaines, sauf pour aller manger aux distributions. Et j'ai peur ici, à côté de l'eau : un homme est déjà tombé dans le canal… comme moi, il ne savait pas nager. »

    Cette crainte, beaucoup la partagent, malgré les barrières de sécurité que la Ville a fait poser pour éviter un drame. « C'est sale, j'ai peur d'attraper des maladies dans les toilettes, je suis obligé de laisser chauffer l'eau de la douche des heures au soleil tellement elle est froide. C'est la pire des vies, soupire-t-il en époussetant dans un geste machinal sa couverture. Vous vous rendez compte ? Tout ça pour en arriver là, à 43 ans ! Je pensais avoir une vie meilleure. »

     Inna, originaire du Kenya, a vécu au Nigeria. Il a transité par le Maroc puis l’Allemagne avant de rejoindre Paris./LP/ Jean Nicholas Guillo
    Inna, originaire du Kenya, a vécu au Nigeria. Il a transité par le Maroc puis l’Allemagne avant de rejoindre Paris./LP/ Jean Nicholas Guillo LP/J.-N. Guillo

    Kényan, Inna a passé son enfance au Nigeria avant de se lancer sur les routes migratoires : « Là-bas, il y avait tellement de violences… Mon père y est mort, moi, j'ai perdu un œil, mais tout ça, c'est une longue histoire. Vous savez, souffle-t-il désabusé, j'ai vu beaucoup trop de choses, je crois que ma vie n'a plus aucune valeur. »

    Pour trouver refuge en Europe, Inna a transité par le Maroc, puis l'Allemagne : « Là-bas, ils m'ont pris mes empreintes. Je suis dubliné *. J'étais logé, j'avais un lit, mais je préférerais vivre en France. De toute façon, si je retourne au Nigeria, on me tuera ». Inna guette les aiguilles de sa montre : « J'ai rendez-vous tout à l'heure pour donner des papiers pour mon droit d'asile. »

    «C'était très, très violent»

    A quelques mètres, Adam patiente sur une chaise pliante. Cet ancien jardinier, père de deux enfants restés au Soudan, n'est là que depuis deux jours. Mais, à 45 ans, l'homme a le regard de ceux qui ont traversé le pire. Il a connu l'enfer de la Libye, où il a travaillé trois mois : « C'était très, très violent… », laisse-t-il pudiquement tomber . Il n'en dira pas plus, évacuant les détails de son histoire dans un vague geste de la main.

    « Ensuite j'ai passé quatre jours en mer, sur un tout petit bateau, avant d'accoster en Italie où mes empreintes ont été prises. On était une cinquantaine… C'était terrible. Maintenant, j'attends. ». Comme les exilés du Millénaire, près de 500 migrants afghans campent sur les rives du Canal Saint-Martin (Xe), et une cinquantaine d'autres porte des Poissonniers (XVIIIe).

     LP/ Jean Nicholas Guillo
    LP/ Jean Nicholas Guillo LP/J.-N. Guillo

    * Les « dublinés » sont soumis au règlement de Dublin, qui désigne le premier pays d'Europe où un demandeur d'asile enregistre ses empreintes, comme celui devant instruire son dossier.