A Belleville, ils sont 300 tous les jours

A Belleville, ils sont 300 tous les jours

    Huit heures du matin sur le terre-plein du boulevard de la Villette. A côté d'autres vendeurs à la sauvette, Alija* vide le contenu de deux sacs fatigués sur un drap. Téléphone hors d'âge, crème de jour à moitié vide, CD de top 50 des années 1980, stylos, réveils cassésâ?¦ En vendant ces vieilleries récupérées dans les poubelles, le réfugié kosovar de 52 ans n'escompte pas gagner plus aujourd'hui qu'une poignée d'euros. « Mais avec le RMI je n'y arrive pas », justifie cet homme las qui n'a pas réussi à trouver un travail depuis son arrivée en France en 2003.

    « Chef, combien pour la cafetière ? » l'apostrophe un passant. « Cinq euros », répond Alija. Trop cher pour le client qui tente, en vain, de négocier. A quelques mètres, Ludmila, 66 ans, propose pour 2 â?¬ des coupe-ongles qu'elle a achetés moitié prix chez un grossiste. En face, un arrivage de sacs de voyage flambant neufs crée un attroupement.

    Le secteur « s'est transformé en dépotoir impressionnant »

    9 h 30 : le petit business clandestin bat son plein. Plus de 300 personnes occupent désormais la totalité du terre-plein central du boulevard, entre Belleville et la rue du Buisson-Saint-Louis. « Ce marché est apparu de manière très brutale cet hiver, retrace Rémi Féraud, maire (PS) du X e . Son développement est lié à la fois à l'explosion de la grande pauvreté et au déplacement d'autres marchés sauvages, en particulier celui de Couronnes. »

    Le maire, comme la préfecture de police, entendent circonscrire le phénomène. « Nous ne sommes pas dans une logique de chasse à la misère, plaide Rémi Féraud. Mais il y a des trafics qui viennent se greffer au marché. » Et le secteur, déplore l'édile, « s'est transformé en dépotoir impressionnant ».

    Chaque jour, vers 16 heures, après le départ des vendeurs, le bitume est jonché de cartons, canettes de boissons, vieux vêtements, sacs plastiqueâ?¦ Des habitants ont envoyé des dizaines de mails de protestation à la mairie du X e .

    « Je comprends que ces gens soient dans des situations difficiles, mais c'est vraiment immonde », déplore Anna, une trentenaire qui emprunte au quotidien le boulevard pour aller travailler.

    Retour dans les allées. Les clients avancent doucement, yeux vissés au sol pour repérer les bonnes affaires. « C'est le seul endroit où les pauvres comme nous peuvent encore acheter des choses », regrette Fatima, 58 ans, qui vient de payer 2 â?¬ un pyjama rose et blanc pour sa petite fille. A 14 h 30, Alija remballe son fatras. Comme prévu, le bilan est maigre : à peine 15 â?¬. « Si j'avais un travail, jamais je ne serais ici. Le marché, c'est trop la mâ?¦ », peste-t-il avec un fort accent des Balkans. Malgré tout, il reviendra demain.

    * Tous les prénoms de témoins cités dans ce dossier ont été modifiés à la demande des intéressés.