Municipales : la politique d’Anne Hidalgo fait-elle vraiment fuir les classes moyennes de Paris ?

Le candidat LREM de Paris Benjamin Griveaux estime que la maire Anne Hidalgo et sa politique du logement sont responsables du départ de Paris des personnes appartenant à la classe moyenne.

 Paris, France, le 24 janvier 2019. Anne Hidalgo, maire de Paris dans son bureau de l’Hôtel de Ville.
Paris, France, le 24 janvier 2019. Anne Hidalgo, maire de Paris dans son bureau de l’Hôtel de Ville. LP/Olivier Corsan

    Chaque jour, dans le cadre des élections municipales, Le Parisien passe au crible une déclaration de candidat.

    « Paris a perdu 53 000 habitants en l'espace de cinq ans. Ce sont les plus modestes et les classes moyennes qui se retrouvent bannis de la capitale, parce qu'ils subissent de plein fouet l'explosion des prix à l'achat et à la location. ». Qui est responsable, selon Benjamin Griveaux? La politique d'Anne Hidalgo qui « asphyxie les classes moyennes », expliquait notamment le 27 octobre dans Le Parisien le candidat investi par La République en Marche. « Quand on choisit de laisser les clés à Ian Brossat, adjoint communiste au logement, on applique le communisme municipal », lançait-il déjà le 9 septembre dernier.

    Dimanche dernier, toujours dans le Parisien, il a annoncé sa proposition phare sur le sujet : une aide à l'achat d'appartement, pouvant atteindre 100 000 euros pour les classes moyennes.

    « Non, la classe moyenne n'a pas quitté Paris », se défendait la maire de Paris le 5 janvier dernier dans un entretien accordé au Point. Cette confrontation d'idées masque une réalité bien plus complexe qu'elle n'y paraît, entre interventionnisme local et incessante hausse des prix d'un marché en pleine tension.

    Des loyers en hausse

    « Nous nous sommes battus pour remettre en place l'encadrement des loyers », rappelle d'emblée Ian Brossat. Mais la tendance est aujourd'hui constante, poussée par les trop nombreuses annonces illégales : les loyers augmentent, année après année. Leurs montants ont encore grimpé de 1,4 % en 2018 et même de 2,4 % lors d'un changement de locataire, d'après les chiffres de l'Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne (OLAP). La loi d'un marché dans lequel la demande dépasse de loin l'offre. Paris est une ville très dense, et le manque de logements se fait cruellement ressentir.

    « C'est un problème très parisiano-parisien, tient à préciser Emmanuel Trouillard, chargé d'étude sur le logement à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France (IAU-IdF). Les classes moyennes ne rencontrent pas ce problème dans toute l'Ile-de-France et toutes les classes moyennes ne sont pas touchées à Paris. Ce sont les entrants, qui n'ont pu accéder à la propriété dans de bonnes conditions il y a plusieurs années. Et ce sont surtout les familles, obligées de quitter Paris dès l'arrivée du premier ou du deuxième enfant. »

    11 000 habitants en moins chaque année

    Et voici comment Paris perd quelque 11 000 habitants chaque année. Selon la dernière enquête de l'Insee, le nombre de parisiens est passé de 2 240 621 à 2 187 526. La décrue concerne la quasi-totalité des arrondissements et s'explique, selon l'Insee, par un taux de natalité en baisse et un solde migratoire de nouveau négatif.

    Les familles semblent particulièrement touchées, puisque la capitale comptait en 2017 3 000 enfants scolarisés en moins par rapport à 2016. Depuis 2014, 12 écoles ont même fermé leurs portes (pour 5 ouvertures). 14 autres écoles seraient aujourd'hui menacées.

    A noter : les chiffres ne montrent pas non plus un exode des classes moyennes. Selon nos calculs, basés sur les données de l'administration fiscale, le nombre de foyers déclarant entre 20 000 euros et 30 000 euros n'a baissé que de 1 % entre 2012 et 2018. Les moins fortunés ont baissé davantage alors que ceux au-dessus de 30 000 euros ont augmenté.

    Airbnb dans le viseur de la mairie

    Pour la mairie, le combat porte avant tout sur la prolifération des locations de biens meublés touristiques, type Airbnb, en ce qu'elles viendraient assécher encore un peu plus l'offre de logements et amplifier la hausse des prix. Seuls 82 % des biens parisiens sont des résidences principales, un chiffre qui a fortement baissé ces cinq dernières années.

    Tous les candidats sont d'accord sur la nécessité de mieux encadrer la pratique. Mais les adversaires d'Anne Hidalgo pointent tous, au-delà du cas Airbnb, une responsabilité municipale.

    Rachida Dati s'engage aujourd'hui à verser aux Parisiens de classe moyenne une aide financière, pendant trois ans, à l'arrivée de chaque nouvel enfant. Benjamin Griveaux accuse Anne Hidalgo de « dogmatisme », en ayant « tout » mis sur le logement social et rien sur le logement intermédiaire. Des attaques qui hérissent les poils de Ian Brossat, élu communiste à Paris et adjoint en charge du Logement. « 70 % des Parisiens sont aujourd'hui éligibles à un logement social. À qui s'adresse Benjamin Griveaux lorsqu'il propose d'axer tous les efforts sur l'intermédiaire ? Aux 30 % restants ? Il ne sait pas ce qu'est le logement social. »

    12000 logements attribués en moyenne par an

    Reste que les 70 % de Parisiens éligibles sont loin de tous trouver un logement. Selon les chiffres de l'Apur (Atelier parisien d'urbanisme), sur les 244 000 demandes de logement social formulées à Paris en 2017, 134 000 émanaient de Parisiens. Seuls 12 000 logements sont attribués en moyenne chaque année. C'est dire le nombre de déçus potentiels. À la mairie, on préfère se targuer d'un taux de 22 % de logements sociaux dans la capitale. Et qui pourrait atteindre les 25 %, soit l'objectif fixé par la loi SRU, d'ici 2026.

    Pour parvenir à cet objectif, la mairie de Paris n'a pas hésité à user de son droit de préemption pour racheter des biens et les verser dans le parc social. Une méthode là encore contestée par nombre des adversaires d'Anne Hidalgo. « Cela alimente la spéculation, déplore par exemple le candidat Gaspard Gantzer. De fait, même si à l'échelle du marché le nombre de rachats est faible, les préemptions contribuent à la hausse des prix. » Une théorie régulièrement développée par Benjamin Griveaux et son soutien Pierre-Yves Bournazel, qui promettent tous deux de rompre avec la pratique. « Les conséquences de la préemption sont nulles, nous ne rachetons que 2 % des biens, leur rétorque Ian Brossat. Demandez aux personnes qui ont ainsi pu être logées et rester à Paris si elles sont contre les préemptions. »

    Pas de recette miracle

    Ces bisbilles très politiciennes masquent sans doute une certaine impuissance de nos responsables politiques. La densité parisienne freine les possibilités de construire toujours plus de logements sociaux. Les prix du marché privé, eux, continuent de gonfler. Et les populations modestes se retrouvent de plus en plus confrontées à l'idée d'un départ.

    « Ceux qui arrivent en disant je claque des doigts et je vais tout changer mentent, argumente Emmanuel Trouillard. La réalité, c'est que le maire ne peut pas tout faire seul. Il n'a pas le droit de limiter seul les prix. Cela supposerait aussi un engagement national. » Pas le temps pour les candidats de se préoccuper de ces réalités. Place à la campagne.

    En résumé