La France des «retranchés» : le mystère du «suicide by cop»

SÉRIE (3/5). Le 17 septembre 2020, un surveillant pénitentiaire de 42 ans s’est fait passer pour un forcené radicalisé. Il raconte qu’il espérait se faire tuer par la police. Ce comportement, d’abord observé aux Etats-Unis, est redouté des forces de l’ordre.

Le 17 septembre 2020, Fabien a tenté d’annihiler sa souffrance, par un moyen que les policiers ont appris à reconnaître : provoquer les forces de l’ordre avec l’objectif de se faire abattre. LP/Illustration Anne-Gaëlle Amiot
Le 17 septembre 2020, Fabien a tenté d’annihiler sa souffrance, par un moyen que les policiers ont appris à reconnaître : provoquer les forces de l’ordre avec l’objectif de se faire abattre. LP/Illustration Anne-Gaëlle Amiot 

    Notre série sur la France des « retranchés » en 5 épisodes

    1. Le GIGN face à l’inquiétant phénomène des «retranchés»
    2. Le jour où Christelle a voulu « tout faire sauter »
    3. Le mystère du « suicide by cop »
    4. Dans la peau d’un négociateur du GIGN
    5. Mon voisin est un forcené

    La piqûre tient la psychose à distance. Toutes les quatre semaines, depuis sa sortie de prison, Fabien reçoit par injection un stabilisateur d’humeur. « Je suis bipolaire. Avec le traitement, j’ai encore le cafard, mais moins de pulsions de mort », raconte-t-il, voix monocorde et dos raide, dans sa salle à manger aux meubles gris coordonnés. Sur le buffet, des papiers administratifs s’alignent, au garde à vous. Rien ne traîne, si ce n’est un oreiller et un plaid, sur le canapé devant l’immense télé. Le chat Fouzou promène son pelage roux sur la table. La main de colosse, au bout d’un bras tatoué, repose doucement l’animal sur le lino gris. Fabien a accepté de raconter sa traversée de l’enfer, à condition de porter dans l’article un prénom d’emprunt, et que son adresse reste secrète. Il ne voudrait pas que la sombre histoire dont il émerge abîme ses fragiles projets d’avenir, une reconversion comme chauffeur routier, une demande de HLM. Il n’a plus les moyens de son 3-pièces en location.

    Le 17 septembre 2020, Fabien a tenté d’annihiler sa souffrance, par un moyen que les policiers ont appris à reconnaître : provoquer les forces de l’ordre avec l’objectif de se faire abattre. Un suicide par procuration. L’idée a surgi d’un coup. La bouteille de whisky du jour était déjà vide - c’est son régime de croisière depuis que la dépression s’est installée chez lui. Fabien traîne sur Internet et tombe par hasard sur un documentaire consacré au RAID. Il visionne le premier quart d’heure sur YouTube, puis referme le clapet de l’ordinateur portable, avec l’impression d’avoir trouvé la solution à tous ses problèmes. Sur une feuille, il griffonne un mot à l’attention des policiers. Un mot d’excuses, pour ces uniformes dont Fabien se sent proche. Lui aussi en porte un. Depuis vingt-deux ans, il promène son gilet pare-lame de surveillant dans un centre pénitentiaire du Nord. Les jours y sont âpres, le salaire compense.