Seine-Saint-Denis : jugée pour l’enlèvement de son propre fils

Le parquet a requis six mois de prison avec sursis contre une femme turque de 45 ans, jugée pour l’enlèvement de son fils de 6 ans en 2016 à Villepinte. En Turquie, leur pays d’origine, elle en avait la garde.

 En mai 2016, au tribunal de Bobigny, la mère sortait de plus de 45 jours d’incarcération en Allemagne pour l’enlèvement de son fils alors âgé de 6 ans.
En mai 2016, au tribunal de Bobigny, la mère sortait de plus de 45 jours d’incarcération en Allemagne pour l’enlèvement de son fils alors âgé de 6 ans. LP/C.S.

    « Cet enfant a besoin d'un contact avec ses deux parents. » L'évidence, rappelée mercredi par Me Irène Durier au tribunal correctionnel de Bobigny, saura-t-elle convaincre les propres parents de l'enfant dont elle portait la voix ?

    Ce petit garçon né en Turquie il y a près de dix ans de parents turcs, et qui vit depuis sept ans en France avec son papa, est au cœur d'un imbroglio judiciaire que les juges de Bobigny tentent de démêler. Sur le banc des prévenus, la maman, jugée pour l'enlèvement de son propre fils, en 2016 à Villepinte.

    Le matin du 8 mars 2016, sur le chemin de l'école, le garçon s'était volatilisé, provoquant un vif émoi dans le quartier du Parc de la Noue à Villepinte. Les autorités avaient tout de suite soupçonné la mère, séparée du père depuis plusieurs années.

    Incarcérée durant 47 jours en Allemagne

    Après diffusion d'un mandat d'arrêt européen, l'enfant était retrouvé à Francfort en Allemagne, cinq jours plus tard, et sa maman arrêtée. Le garçon, d'abord placé en foyer, a été remis à son père. La mère est restée incarcérée 47 jours en Allemagne avant d'être déférée devant un juge d'instruction de Bobigny, pour être mise en examen pour enlèvement. Alors que la justice turque lui avait attribué la garde.

    Mais le père était parti en France, avec le bébé, sans prévenir. « L'enfant est déchiré entre ses deux parents, c'est le moins que l'on puisse dire mais si Monsieur est parti brutalement de Turquie c'est parce qu'elle le maltraitait, elle était violente » soutient Me Caroline Bris, l'avocate du père, qui réclame 5 000 € de dommages et intérêts.

    Imbroglio judiciaire

    Après un passage par Bordeaux, le père s'est installé à Villepinte, et a fait valoir que l'enfant vit avec lui. De fait, il y est toujours, malgré des rendez-vous judiciaires à n'en plus finir. Quel jugement aurait dû faire foi ? D'Istanbul à Bobigny, la bataille est sur tous les fronts et elle est technique. On parle d'exequatur (la procédure qui permet de faire exécuter une décision de justice étrangère), de convention de Lahaye sur la protection des enfants, de litispendance, qui empêche que plusieurs juridictions se saisissent d'une même affaire. Plusieurs juges ont à se pencher sur le sort de cet enfant qu'on décrit des plus perturbés : un juge d'instruction, des juges aux affaires familiales, et maintenant un juge des enfants à Bobigny.

    Car le garçon a fait l'objet de deux signalements préoccupants après la découverte de bleus et de griffures sur son corps, imputés, apprend-on à l'audience, à une jeune belle-mère, dont le père s'est depuis séparé.

    Et l'intérêt de l'enfant ?

    « Les parents ont développé une telle haine vis-à-vis de l'autre qu'ils ont perdu de vue l'intérêt de leur fils, déplore la procureure. C'est vrai qu'on est dans un contexte particulier. Il a été enlevé en Turquie par son père et il n'y a pas d'éléments objectifs de maltraitance, mais madame doit entendre qu'on ne se fait pas justice soi-même. » Elle a réclamé six mois de prison avec sursis.

    « C'est le monde à l'envers ce dossier ! » se révolte Me Ariana Bobetic, réclamant la relaxe pour la mère qui depuis sa mise en examen est restée en France. « Elle a obtenu un titre de séjour et se lève à 4 heures tous les matins pour travailler, dans l'espoir de revoir son fils. Son acte a été motivé par un état de nécessité. Quelle pire violence peut-on faire à une femme que d'emmener son enfant quand elle demande le divorce ? » Elle accuse le père d'avoir fait des faux et de « laver le cerveau » de son fils contre sa mère. « Imaginez-vous que cet enfant a demandé s'il avait le droit d'aimer sa mère ? » lance-t-elle aux juges. Le jugement sera rendu le 26 juin.