Port du hijab dans le football : 5 minutes pour comprendre la polémique sur le voile en compétition

Le Conseil d’État doit se prononcer sur un point du règlement de la Fédération française de football qui interdit le port de tenues manifestant une apparence religieuse, dont le voile.

Le collectif Les Hijabeuses avait saisi le Conseil d'État concernant l'interdiction du port du voile sur les terrains de foot français. Sipa/Jeanne Accorsini
Le collectif Les Hijabeuses avait saisi le Conseil d'État concernant l'interdiction du port du voile sur les terrains de foot français. Sipa/Jeanne Accorsini

    Le Conseil d’État va devoir trancher. La plus haute juridiction administrative de France doit se positionner sur l’autorisation ou non du voile islamique, aussi appelé hijab, dans les matchs de football du pays après l’avis favorable de son rapporteur public rendu lundi. Sa décision est attendue d’ici la mi-juillet. Explications des enjeux de ce sujet polémique.

    Quel est ce règlement de la FFF qui se retrouve au Conseil d’État ?

    Il s’agit de l’article 1 de la FFF. Depuis 2016, celui-ci interdit « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ». Un texte qui empêche, en théorie, les joueuses de porter le hijab lors des rencontres officielles de football, même si dans les faits, certains matchs se disputent avec des joueuses voilées comme l’avait montré notre enquête au sein de la Ligue Paris-Île de France.

    C’est cet article 1, également utilisé par la fédération pour interdire les pauses pour rompre le ramadan pendant les matchs, qui est visé par un collectif militant, « les Hijabeuses ». « Notre combat n’est pas politique, pas religieux, il concerne le sport et seulement le sport », assure sa présidente, Founé Diawara. En novembre 2021, le groupe a assigné la FFF devant le Conseil d’État pour la contraindre à modifier ce point du règlement et à suivre la Fifa.

    « Ce qui est recherché, c’est l’importation dans le football de revendications communautaires », s’indigne Loïc Poupot, l’avocat de l’instance. Cette dernière se refuse, en l’état, à changer ce texte. À noter que cette modification ne concernerait pas, aux yeux du rapporteur public, les joueurs et joueuses retenus en équipe de France. Sous le maillot tricolore, ceux-ci seraient tenus à observer une neutralité car ils assureraient « une mission de service public ».

    Que dit la loi ?

    Dans les faits, la loi se limite pour l’heure à exiger la neutralité religieuse aux salariés et agents travaillant pour les fédérations délégataires d’un service public, pas à ses pratiquants. « Aucune norme de droit interne ne restreint la liberté de religion ou de conviction au sein des activités associatives », expliquait en février 2022 à notre journal Michel Pautot, avocat au barreau de Marseille et docteur en droit.

    Chaque fédération est donc libre de cadrer les tenues autorisées par ses joueurs et ses joueuses dans les matchs. Mais le sujet a fait débat il y a un an et demi au Sénat et à l’Assemblée nationale. Les députés, alors en majorité absolue avec le gouvernement, avaient rejeté en février 2022 un amendement du Sénat, acquis au parti Les Républicains, interdisant le voile dans le sport de compétition. Un amendement similaire avait déjà connu le même destin l’année précédente lors de l’examen par les deux chambres du texte sur le séparatisme. Le député (LR) des Alpes-Maritimes Éric Ciotti avait dénoncé « une soumission » de la majorité à l’islamisme la deuxième fois.

    Que peut-on faire dans les autres sports ?

    Tout dépend des règlements internes. La Fédération française de basket (FFBB) interdit le voile mais de manière détournée, puisque le règlement fédéral interdit le port de tout couvre-chef pendant les rencontres. En janvier 2023, Salimata Sylla, joueuse du club d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) en Nationale 3 avait dénoncé dans une interview accordée au Parisien-Aujourd’hui en France ce texte qui l’empêche d’évoluer avec son hijab en compétition.

    VIDÉO. « Je me suis sentie humiliée » : basketteuse depuis dix ans, Salimata a été exclue du terrain à cause de son voile

    Les joueuses de rugby ont le droit de porter le hijab au cours des rencontres « à condition qu’il ne constitue pas un danger pour celle qui le porte ou les autres joueuses ». L’ex-deuxième ligne du XV de France Assa Koïta avait ainsi pu en arborer un sous son casque, notamment avec le Stade Français. Aucune restriction pour le handball sur ce plan-là, à condition qu’il ne soit pas porté autour du cou pour des raisons de sécurité. La fédération française de tennis demande simplement le port de « vêtements compatibles avec la pratique » de ce sport. Le judo tolère aussi le port du voile.

    Au niveau international, les textes sont souples. Outre la Fifa, la fédération internationale de basket autorise le port du hijab en compétition depuis 2017. Les athlètes alignés aux Jeux olympiques peuvent également concourir avec un hijab.

    Comment se positionne le monde politique français ?

    L’avis du rapporteur public du Conseil d’État a entraîné de nombreuses réactions politiques depuis lundi. « Le hijab dans le sport, c’est NON ! Et nous ferons une loi pour faire respecter ça », a annoncé la patronne des députés Rassemblement national (RN) et ex-candidate à la présidentielle, Marine Le Pen, sur Twitter. « On a à faire à une offensive de certains nombres d’écoles idéologiques islamistes sur notre territoire », a dénoncé mardi matin sur CNews le maire RN de Perpignan, Louis Aliot.

    Toujours sur Twitter, le député (LR) Éric Ciotti a rappelé son opposition à l’autorisation du hijab dans le sport en rappelant le rejet de son amendement de 2021. « Nous en subissons désormais les conséquences ! » s’exclame l’élu. Même dans les rangs de la majorité, les avis divergent selon les sensibilités politiques ces dernières années. En février 2022, la désormais ex-ministre à l’Égalité femmes-hommes Élisabeth Moreno estimaient que « les femmes ont le droit de porter le voile islamique pour jouer ».

    Mais mardi matin, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est dit « très opposé » au port du hijab en compétition. « On n’a pas à porter des vêtements religieux quand on fait du sport, a estimé sur RTL le locataire de la place Beauvau. Quand on joue au football, vous n’êtes pas obligé de savoir la religion de la personne en face de vous. »

    « Je suis totalement mobilisée avec la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra pour le respect strict de nos principes républicains dans le sport, en particulier la laïcité et la neutralité du service public », a quant à elle déclaré la Première ministre Élisabeth Borne devant l’Assemblée nationale, lors de la séance des questions au gouvernement mardi. De là à légiférer sur le sujet ?

    « Nous n’excluons rien, a estimé la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra. Je veux voir le coeur de cette décision (et) à partir de là ce que nous devons faire évoluer dans notre droit. »

    Et maintenant, que va-t-il se passer ?

    Le Conseil d’État, censé se prononcer dans les trois semaines, doit rendre sa décision jeudi selon l’AFP. Dans la grande majorité des cas, celui-ci suit l’avis du rapporteur public, mais rien ne l’oblige à le faire. Le sujet est « important », a estimé celui-ci, Clément Malverti, au cours de l’audience et la décision du Conseil d’État sera suivie de près, a-t-il lancé. Il a également mis en garde contre le « risque » que certains tentent par la suite d’« étendre » l’interdiction du voile à d’autres espaces publics.



    Se refusant à « crier victoire » trop vite, l’avocate du collectif « Les Hijabeuses », Me Marion Ogier, s’est réjouie des conclusions du rapporteur public, « qui vont dans notre sens ». Elle a espéré que le Conseil d’État, en prenant sa décision, ne fasse « du droit, rien que du droit » sans se laisser influencer par la « politique ».

    En cas de feu vert de la juridiction, la FFF serait tenue de changer son règlement puisque les décisions du Conseil d’État ne sont susceptibles d’aucun recours. Et l’on pourrait alors assister, à la rentrée, aux premiers matchs officiels avec des joueuses autorisées à porter le voile.