Val-d’Oise : après la mort tragique de leurs fils ou de leurs frères, elles témoignent

Le rendez-vous littéraire Biblio’tess, à Sarcelles, s’est mué en groupe de parole le temps d’un soir. Les intervenantes déplorent un manque de soutien et de réactions suivant ces drames et se sentent abandonnées par l’Etat.

 Dalila est la maman de Samir, tué le 30 août 2015 d’un coup de couteau au McDonald’s de Garges-lès-Gonesse.
Dalila est la maman de Samir, tué le 30 août 2015 d’un coup de couteau au McDonald’s de Garges-lès-Gonesse. LP/T.C.

    Une douleur insondable s'exprime dans le sous-sol d'un café de Sarcelles. Il y a là une trentaine de personnes réunies dans le public, les oreilles dressées. Les intervenantes font part de leur peine. Chez chacune, les sanglots font surface irrémédiablement à l'évocation de la part de leur enfant ou de leur frère, mort dans une rixe.

    « Ce soir, c'est un Biblio'tess un peu spécial parce qu'on n'a pas de livre à présenter », introduit Hocine Radjai, coorganisateur. Biblio'tess c'est un rendez-vous littéraire mensuel au Café de la place, où un auteur vient présenter un ouvrage. Ce jour-là, ce sont des mères qui ont perdu un fils dans des circonstances tragiques qui sont invitées à témoigner. « Pour nous, ces mamans ce sont aussi des livres, souligne Turkan Inan, coorganisatrice. Ce sont des histoires qui méritent d'être écrites. »

    Quatre ans après, une « douleur est toujours intense »

    Ils ont perdu la vie dans des affrontements entre quartiers, lors d'une interpellation ou encore dans un accès de violence insensé, comme c'est le cas de Samir. « La douleur est toujours intense, confie la mère de ce dernier dans un flot de larmes. Perdre un enfant, c'est la pire douleur. » C'est la sœur du défunt, Linda, qui se charge de prendre le relais.

    En août 2015, Samir, 28 ans, fait la queue au drive du McDonald's de Garges-lès-Gonesse, quand il voit un ami au guichet. Il sort de sa voiture pour le rejoindre. Deux hommes dans une autre voiture s'imaginent que Samir cherche à les doubler dans la queue. Ce dernier est poignardé au thorax quelques minutes plus tard. « Il est mort dans les bras de son meilleur ami. Même dans la mort, il a eu des mots magnifiques pour sa famille, pour sa maman », relate Linda. Son meurtrier a été condamné en appel à dix-huit ans de réclusion criminelle.

    Sarcelles. Linda a raconté comment son frère, Samir, était mort « pour un McDo » à Garges-lès-Gonesse.LP/T.C.
    Sarcelles. Linda a raconté comment son frère, Samir, était mort « pour un McDo » à Garges-lès-Gonesse.LP/T.C. LP/T.C.

    « On est la deuxième France »

    Zahia aurait voulu que l'assassin de son fils, Wildy, soit condamné à une peine semblable. « Il fumait la chicha avec deux jeunes de la cité d'à côté. Ils sont venus avec un 9 mm et ils lui ont tiré dessus. Il s'est vidé de son sang dans le hall », raconte-t-elle.

    L'attaque avait pour contexte les affrontements entre jeunes du Mée-sur-Seine (Seine-et-Marne) et ceux du quartier Montaigu, à Melun (Seine-et-Marne). L'homme suspecté de lui avoir tiré dessus a été acquitté. « Sept mois plus tard, il s'est fait prendre pour de la drogue », ajoute-t-elle.

    Elle ne comprend toujours pas pourquoi il a échappé à la condamnation. « On est la deuxième France, fulmine-t-elle. Toute notre vie on attend un arc-en-ciel. Mais il n'y a pas d'arc-en-ciel en banlieue. » Sa défiance envers la justice s'est muée en colère contre l'Etat, mais aussi en désespoir.

    De victimes à militantes

    La mère de Lamine Dieng n'a pas réussi à prendre la parole. C'est sa fille, Fatou qui s'est chargé d'expliquer comment était mort son frère, lors d'une interpellation en juin 2007, rue des Amandiers, à Paris (XIX e ). « Il a été tué par le plaquage de ces policiers », accuse-t-elle. Après un non-lieu confirmé en 2017, la famille a saisi la cour européenne des droits de l'homme.

    « Ça fait douze ans qu'il a été tué mais pour nous, c'est comme si c'était hier, souligne-t-elle. On n'est pas prêt à passer à autre chose, on ne veut pas passer à autre chose. » Elle milite depuis pour l'interdiction de ces techniques d'interpellation.

    Sarcelles. Zahia a perdu son fils, Wildy, tué dans des rixes entre quartiers en Seine-et-Marne. LP/T.C.
    Sarcelles. Zahia a perdu son fils, Wildy, tué dans des rixes entre quartiers en Seine-et-Marne. LP/T.C. LP/T.C.

    Parler sans être jugée

    Une intervenante rappelle la solitude qui accompagne souvent le deuil. « Quand il y a de type de faits, il y a tout de suite une solidarité qui se met en place dans le quartier. Mais au bout de plusieurs semaines, ces familles se retrouvent seules », indique-t-elle. Au cours de la discussion chacun s'interroge sur la nature de la violence qui tue ces jeunes et les moyens de lutter contre. La police est pointée parfois du doigt, et beaucoup expriment le sentiment d'un abandon de l'Etat.

    Les trois interventions plongent la salle dans le recueillement. Les trois femmes se montrent reconnaissantes qu'un tel événement soit organisé. « Je salue cette initiative car c'est ce qu'il faut, souligne Fatou. C'est dans notre projet de monter un groupe de parole de victimes. Je veux pouvoir parler et qu'on me comprenne sans me juger. »

    Sarcelles. Fatou est la sœur de Lamine Dieng décédé après son interpellation à Paris. LP/T.C.
    Sarcelles. Fatou est la sœur de Lamine Dieng décédé après son interpellation à Paris. LP/T.C. LP/T.C.