Eurovision 2024 : pourquoi le cas d’Israël fait débat entre les pays participants

La participation de l’État hébreu au concours de chansons en mai ne fait pas l’unanimité au vu de la situation humanitaire à Gaza et de l’action de Tsahal. Plusieurs pays ont demandé à l’UER, organisatrice du concours, d’exclure Israël, sur le modèle de ce qui s’était produit avec la Russie en 2022, mais l’organisation annonce ce jeudi maintenir la participation israélienne.

Noa Kirel avait représenté Israël à l'Eurovision 2023, et la jeune Eden Golan doit lui succéder. Peter Kneffel/dpa/Icon sport
Noa Kirel avait représenté Israël à l'Eurovision 2023, et la jeune Eden Golan doit lui succéder. Peter Kneffel/dpa/Icon sport

    Que la géopolitique s’invite à l’Eurovision n’a rien de nouveau. Le concours a beau être apolitique, selon son règlement, les exemples d’entorses plus ou moins grandes à ce principe se comptent par dizaines depuis sa création en 1956. Aucune surprise donc à ce que la participation israélienne au concours en mai, à Malmö (Suède), cause des remous au vu de la riposte aux attaques du Hamas depuis le 7 octobre.

    L’Union européenne de radiotélévision (UER) vient de confirmer ce jeudi qu’Israël ne sera pas exclu de la compétition en l’état. Une information en réponse aux appels à bannir l’État hébreu du concours alors que des pays et diffuseurs nationaux se posent la question de leur participation si Israël prend également part à la compétition. Plusieurs fans affichent ouvertement sur les réseaux sociaux leur soutien à la cause palestinienne et demandent toujours l’exclusion du pays en raison de la situation à Gaza.

    Le précédent russe

    Ces fans s’appuient sur un précédent : l’exclusion de la Russie en 2022 depuis l’invasion de l’Ukraine. Au lendemain du début des opérations militaires, l’UER avait annoncé que le pays ne pourrait pas participer « sur la base des règles du concours et des valeurs » de l’organisation.

    En tant que structure « apolitique », l’UER craignait que, « compte tenu de la crise sans précédent en Ukraine, l’inclusion d’une candidature russe dans le concours de cette année ne jette le discrédit sur le concours ». De nombreuses voix demandent ainsi une décision similaire à l’égard d’Israël.

    Mais pour Dean Vuletic, historien diplômé de Columbia et spécialiste de l’Eurovision, le cas israélien diffère sur un point principal : « Il n’y a pas eu de sanctions de la communauté internationale à l’encontre d’Israël, contrairement à la Russie. Or, l’UER n’est pas une autorité qui dispose de ce pouvoir politique, ça n’est qu’une association de diffuseurs publics », rappelle le spécialiste. Aucun gouvernement européen n’a par ailleurs adopté de sanctions à l’échelle du pays ou rompu ses relations diplomatiques, souligne-t-il.

    Des propos qui corroborent les annonces de l’UER ce jeudi : « Les comparaisons entre les guerres et les conflits sont complexes et difficiles et, en tant qu’organisme de média apolitique, il ne nous appartient pas de les établir », a déclaré Noel Curran, le directeur général de l’institution. « Nos organes directeurs (…) ont convenu que le diffuseur public israélien Kan satisfaisait à toutes les règles du concours pour cette année », comme depuis sa première participation en 1973.

    Des pétitions dans les pays nordiques

    En décembre, la société des auteurs-compositeurs islandais avait publiquement demandé à la télévision nationale RÚV de ne pas concourir à l’Eurovision en mai, à moins qu’Israël ne soit exclu de la compétition « pour les mêmes raisons que la Russie ». La participation islandaise n’est toujours pas entérinée. Elle sera prise en concertation avec le vainqueur, à l’issue de la sélection nationale pour l’Eurovision 2024, le 2 mars. Une pétition avait également vu le jour en Finlande, et les diffuseurs suédois et norvégien avaient fait part de leur « préoccupation » sur le sujet.



    Des prises de position « logiques », selon Dean Vuletic, car il s’agit de pays « qui ont une politique étrangère propalestinienne : la Suède et l’Islande font partie des États qui reconnaissent la Palestine aux Nations Unies ». Il pointe également du doigt la portée culturelle de l’Eurovision dans ces pays, où le concours concentre 80 à 90 % des audiences télé : « Comme c’est important pour eux, ils sont forcément en première ligne sur ces questions ».

    Le Luxembourg a aussi remis une pièce dans la machine : la candidate Tali a été sélectionnée le 27 janvier pour représenter le pays au concours après 31 ans d’absence. La jeune femme a grandi entre Israël, l’Amérique du Sud et le Luxembourg. Lors de son sacre, elle a dédié sa victoire à son frère, qui sert actuellement au sein des forces israéliennes, alors que le concours se doit d’être apolitique.

    Une chanson qui fait référence au conflit ?

    L’artiste qui représentera Israël en mai a été choisie le 6 février : il s’agit de l’Israélo-Russe Eden Golan, 20 ans. Mais ce 12 février, la Kan a mis de l’huile sur le feu en affirmant que la chanson devrait « refléter la situation actuelle du pays », et donc faire potentiellement référence à la guerre. Israël pourrait ainsi se heurter à la réglementation qui prévoit l’interdiction de tout message politique dans les paroles.

    « Il faut attendre de voir ce qu’ils proposent », tempère Dean Vuletic qui rappelle aussi qu’une chanson en faveur des droits des femmes ou LGBT « est aussi politique ». « Mais ce sont des valeurs qui correspondent au concours, donc ce n’est pas forcément considéré comme politique par l’UER », résume-t-il.

    Par le passé, au moins trois chansons ont été sommées de revoir leur texte pour se produire au concours. Seule l’Ukraine a accepté de modifier « Razom nas bahato » en 2005 qui contenait des références au président nouvellement élu Viktor Iouchtchenko.

    Les deux autres mis en cause ont préféré ne pas participer plutôt que céder pour des raisons bien différentes. En 2009, la Géorgie voulait envoyer la chanson « We don’t wanna put in », contenant un subtil jeu de mots en référence à l’opposition au président russe Vladimir Poutine, alors que le concours se déroulait à Moscou. Refus catégorique de l’UER, le diffuseur GPB passe son tour pour l’édition.

    Plus récemment, c’est la Biélorussie qui n’a pu participer en 2021 après avoir refusé de changer le texte de « Ya nauchu tebya », une chanson que l’UER a jugée en faveur du gouvernement d’Aleksandr Lukachenko alors que de larges manifestations avaient éclaté après sa réélection à l’été 2020. « Les règles sont volontairement très larges et il est évident que l’UER sera particulièrement attentive à la chanson israélienne cette année », conclut Dean Vuletic.

    Quid des messages pro-Palestine ?

    Jusqu’ici, les interventions politiques de ce type ont toujours été sanctionnées, quel que soit le conflit concerné. Après que le groupe islandais Hatari a brandi des drapeaux palestiniens en 2019 au concours qui se déroulait à Tel-Aviv, la RÚV a écopé d’une amende de 5 000 euros pour infraction aux règles. Pas sûr que Madonna, invitée sur la scène, ait reçu la même peine après avoir intenté une action similaire.

    Un message pour venir en aide aux habitants de Gaza, sur la base de la situation humanitaire, n’enfreindrait en revanche pas les règles en vigueur, si l’on se fie au précédent de la finale de l’édition 2022. Le groupe ukrainien Kalush Orchestra avait conclu sa prestation en s’écriant « Aidez Marioupol ! Aidez Azovstal tout de suite ! » L’Ukraine, victorieuse, n’avait pas été sanctionnée : « Nous comprenons les sentiments profonds qui animent l’Ukraine en ce moment et nous estimons que les commentaires de Kalush Orchestra (…) sont de nature humanitaire plutôt que politique », avait expliqué l’UER pour justifier l’absence de sanctions.